AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de hcdahlem


LE TERRAIN VAGUE
Maman évitait de m’adresser la parole. Phil et moi étions un couple sexy et digne d’intérêt tant que nous vivions sur la Piazza dei Quiriti, que je prenais des cours de yoga sur l’Aventin, que nous passions nos week-ends à Castel Gandolfo et pique-niquions dans les jardins de la Villa Borghese. Revenus à la maison, nous n’avions plus le même prestige. Ma mère avait allumé le radiateur électrique dans la roulotte qui nous était attribuée pour la nuit. L’humidité était incrustée jusque dans nos draps, nous avions froid, nos ventres émettaient des gargouillements synchrones et, dans la maison, les placards étaient vides.
Par ma simple présence, les échecs passés de ma mère lui revenaient en pleine face : elle aurait voulu poursuivre ses leçons de violoncelle et n’avait pas pu ? Ma faute. Elle aurait voulu devenir un grand poète, mais avait décidé, à la place, de pondre quatre gosses ? Ma faute. Elle aurait voulu épouser un homme riche et était tombée amoureuse de mon magouilleur de beau-père qui vivait à sa charge ? Ma faute. Elle aurait voulu être jeune et fonçait tout droit sur ses soixante ans ? Ma faute. Si seulement je n’avais pas échoué, tout cela aurait eu un sens. Ses sacrifices auraient servi la bonne cause. Elle aurait été une mère comblée : sa fille, en plus d’avoir rencontré un jeune homme de bonne famille dans un rallye ou une conférence sur l’avenir de la pasteurisation, serait devenue l’auteur qu’elle avait renoncé à être et lui aurait ramené le prestige tant attendu. Mais sa pauvre Apolline avait rencontré un gosse issu de l’immigration, n’avait même pas été fichue d’être éditée, et maintenant ils revenaient au bercail comme des crétins de hippies, incapables de payer leur loyer.
— J’ai essayé, a murmuré Phil en fixant le plafond craquelé de la roulotte.
Je me suis blottie contre lui. Dehors, les créatures de la nuit venaient gratter le bois vermoulu de la roulotte. Ma mère avait refusé de rassembler mes petits frères dans une même chambre pour nous laisser un matelas et un vrai toit. Elle se vengeait de m’avoir fait naître pour rien. D’avoir souffert et de s’être consacrée à moi pour rien. D’avoir renoncé à tant de choses pour rien.
Oursin, le chat de ma sœur, miaulait derrière la porte. Je me suis levée pour le faire entrer. J’ai marché sur quelque chose de gluant, une limace ou une merde d’oiseau, mais j’étais trop épuisée pour rallumer la lumière. J’ai essuyé mon pied sur le vieux tapis. Je me suis couchée. Oursin a grimpé sur le lit. Il s’est mis en boule entre Phil et moi. Nous nous sommes endormis comme des naufragés sur un radeau grignoté par les vers.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}