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Citation de mimo26


JE VIENS D’UNE SORTIE DE ROUTE

Ma mère a crié, bien sûr, mais ce n’était pas la douleur d’accoucher, c’était juste qu’une gosse sortait d’elle pour l’enfermer. « J’ai failli mourir pour ça » c’était le refrain de sa colère et elle me pointait du doigt comme pour tirer sur une cible, bam dans le mille.

Ma mère est belle.

Moi je suis ça, une chose, et j’ai passé du temps à me rendre coupable de la misère de cette femme qui avait raté sa vie à cause de moi… avec le canon du fusil dans ma bouche, je suis sûre qu’elle n’a pas accouché, non, c’est moi qui ai fait tout le travail, qui suis sortie seule pour m’enfuir, des coups de tête molle pour écarter les lèvres de ma mère qui auraient voulu garder le silence.

Elle ne m’a jamais frappée, pas une seule fois, mais sa violence à elle était grammaticale, ça a plus de style non, plus de classe, sans doute car elle me cognait à coups de phrases avec sa bouche magnifique pendant que moi je l’aimais.

De temps en temps, en passant dans le couloir, je l’entendais, quand elle était furieuse contre sa vie, déprimée et révoltée contre sa misère, je l’entendais se parler à elle-même « je l’ai chiée cette gosse… je l’ai chiée ». Devant sa chambre à la porte entrouverte, je recevais ses mots comme des uppercuts, debout, les jambes serrées dans le couloir du premier étage.

Souvent je sortais de mon sommeil, terrifiée par un cauchemar où je voyais ma mère, le ventre énorme, hurler sur un lit rouge sang avec ma gueule diluée dans la couleur et sur son visage des rides de souffrance. Je me sentais coupable d’avoir gravé ces rayures sur sa peau si parfaite.

Je suis née avec un poids commun, rien d’anormal, et puis chaque année, lentement, je prenais des kilos alors que mes parents n’étaient pas gros. À chaque repas, dès que je fus en âge de comprendre, j’entendais la voix de ma mère me reprochant de me goinfrer mais putain merde je ne mangeais rien !

Mes parents ne voulaient pas d’enfant, ils me l’ont dit le jour de mes huit ans avec une espèce de perfection. Impeccable. Ah ! putain quand j’y pense, quel talent ! Je suis rentrée de l’école et ils s’engueulaient, mais ce soir-là, quand j’ai refermé la porte, j’ai appris la nouvelle « j’en voulais pas de cette gosse, merde… je t’avais dit de te retirer » elle me voit, s’interrompt et disparaît au fond d’un regard détourné. Je ne suis pas vraiment choquée, je le sais déjà que je suis un virage mal négocié. Je viens d’une sortie de route d’un sexe qui est pourtant resté dedans.

La laideur m’imite.

Petite j’étais boulotte, on va dire ça, bien en chair et sûrement contagieuse. Je me faisais toujours une couette, la raie au milieu, cheveux châtains, longs, gras, plaqués sur ma tête, et mes yeux étaient rapprochés, trop, comme s’ils se regroupaient pour s’observer l’un l’autre, juste pour voir si une laideur comme la mienne était vraiment possible. Mes sourcils étaient épais et mes dents trop grosses, encadrées par des lèvres larges qui me posaient toujours la même question « comment une femme si belle a pu me faire ? ».

« La nature fait bien les choses » est la seule phrase que j’ai retenue de mes cours de sciences de la vie, sortie de la bouche de ce professeur émerveillé devant le spectacle extraordinaire de la nature. « La nature fait bien les choses, les enfants » eh oui, c’est vrai, mais parfois elle rate son coup, ce coup dont je suis sortie, ce coup réussi et raté de mon père dans ma mère.

J’étais quelque chose qui tombe à la renverse. Je suis quelque chose…

Je voyais le monde avec mes yeux rapprochés qui, normal, ne le voyaient pas comme les autres, mais un peu déformé. Ma vie de travers était pour moi l’effet de mes yeux mal placés.
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