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Citation de mimo26


J’attends ma fille à l’arrêt d’autobus. Je suis en jupe, le vent cingle mes jambes. Demain, je mettrai un pantalon. Nous avons changé d’heure le week-end dernier, je passe la récupérer pour qu’elle ne rentre pas seule dans l’obscurité. Mais maman, je peux me débrouiller… Le bus ouvre ses portes, elle descend et lève les yeux au ciel en me voyant. Je lui propose de prendre son sac à dos qui la charge comme une mule. T’inquiète… ça va…

Je ne bouge pas. Elle souffle, tend le sac, enlève ses écouteurs, les met dans la poche de son blouson. Pendant que nous marchons, elle attrape mon bras. Certaines fois, ce geste me fait monter les larmes. Je remercie je ne sais quelle chance et lui souris. Tu as beaucoup de devoirs ? Elle fait signe que non mais je sais qu’ils nous occuperont une bonne partie de la soirée. Les devoirs sont une autre langue entre nous, différente de celle parlée lorsque nous étions encore toutes les trois. Les devoirs, les chansons qu’elle me fait découvrir, les films regardés ensemble, nous les accueillons comme des cadeaux et les manions avec délicatesse. Un peu trop sans doute, mais pour le moment, ils nous évitent de céder à l’envie de nous balancer par la fenêtre.

Je redoutais le moment où le quotidien nous obligerait, où elle retournerait à l’école et moi au travail. Nous y sommes. Les matins passent de nouveau très vite. Des fruits à peler, des vitamines à prendre, son chocolat, mon café, des coups de menton, des grognements. Dans toutes les familles je suppose, le matin, zone à risques, ne pas déranger, se dépêcher, ficher le camp. La journée offre des alternatives, hors sol, de pensées, gestes et manières. Vient la cérémonie des devoirs et du dîner, puis le repos avec un livre ou la télévision. Enfin, elle se retranche dans sa chambre dès que j’ai fermé les volets, tiré les rideaux et tenté un dernier baiser.
Seule, je suis soudain frappée de tous les côtés. À me tordre. C’est au ventre que je reçois le plus de coups. Je crierais si j’ouvrais la bouche. Je m’enferme dans la cuisine, vomis dans l’évier, sors sur le balcon et agrippe la rambarde en tremblant. Une voie lactée de lampes d’appartements clignote, signaux intermittents fouettés par les rafales de vent. Je reste là, étourdie, comptant les centaines de lumières et les vies qui vont avec. L’air m’entoure, m’enveloppe, je frissonne, surprise par la fraîcheur du soir.

Il y a quelques semaines, nous disposions trois chaises et chacune scrutait son horizon, les fenêtres d’en face, le centre-ville un peu plus loin ou une espèce d’Amérique au-delà des nuages. La nuit venait si lentement. Aujourd’hui, elle s’abat comme un coup de poignard. Je reviens à l’intérieur et m’écroule dans le canapé, un chiffon à la main, lignes rouges sur fond blanc, que je plie et pose à côté de moi. Je ferme les yeux. Presque aucun bruit à part celui qui s’échappe du casque de ma fille, glisse sous la porte de la chambre et rampe jusqu’au salon. Si j’entends la musique, c’est qu’elle l’assourdit. Je vais lui dire de baisser le volume. Elle le fera sans lutter. Elle a compris qu’éviter une discussion, c’est me mettre plus vite à la porte et enclencher le compte à rebours du moment où elle montera de nouveau le son.

À son âge, je m’enivrais comme elle de musiques jouées très fort. Play it loud était marqué sur les disques. Les guitares électriques exaspéraient mes parents, mais nous habitions une maison, les lieux étaient plus vastes, les espaces plus grands entre nos solitudes. Ils ne me harcelaient pas, ils étaient fatigués par le travail et les déceptions de leur vie. Vues d’aujourd’hui, ces années sont pourtant pleines de couleurs, celles des publicités de la première chaîne de télévision ; une époque moderne selon le slogan.
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