La poétesse Denise Desautels | Place des Artistes.
La poétesse Denise Desautels a été témoin privilégiée des mythiques Nuits de la poésie de 1980 et 1991 et elle participe à son grand retour dans le cadre de Nuit blanche à Montréal en 2024! ✨
Elle nous parle poésie québécoise et nous explique pourquoi les Nuits de la poésie sont devenues des événements phares de la littérature d'ici.
Tu me regardes.
Tu dis nous serons debout
nous mettrons nos peurs
nos morts ensemble.
Ton corps.
Pour qu’on ne s’en serve plus contre son gré.
Tu dis l’exact rassemblement de ses blessures.
De face. Un soleil gronde sous une fenêtre de feu.
Des siècles de forêts de sorcières
en lui s’agitent.
Comme si le savoir
de tout les temps s’y était emmuré.
Comme si la torture de tout les temps.
D’où date la Sorcière?
Je dis sans hésiter : Des temps du désespoir.
Jusqu’au dévorant tonitruant aujourd’hui.
Parce qu’il est encore à la mode
qu’il éclabousse tout l’emporte partout le désespoir.
Beloved éternelle.
Attention – péril
petites humaines universelles.
inventaires III
Celles que je suis
Qui sommes-nous. Qui suis-je.
Diversement rejointe en continu douloureux.
Mon pays schizophrène confortablement ancré
aérien. Ma paume gauche contre ma cage où gronde
grande colère. Mer et monde attaquent. Et me har-
cèlent les journaux de l’aube.
Où suis-je. Mon pays par pillage.
p.203
AHAN
bleu janvier
dur comme un cri
tu en as plein la gorge
des manèges dont on ne guérit pas
ce vieil au jour le jour repasse, possédé, on dirait
la guerre va, vient, fait des trous dans tes nuits
les animaux, les enfants, leur poitrine pâle
l’émotion fait culbuter les heures
dans la cohue, quelques corbeaux
l’angle d’un cou d’une aile
épinglé à la hâte
on entend l’épouvante
le bruit d’un organe froissé
d’un cœur blanc
les choses humaines qu’on largue
in situ
trop de chagrin alentour et un trop de ciel au-dessus
les cauchemars laissés à eux-mêmes
on regarde la flexibilité du mensonge
on te regarde t’y précipiter
astre halluciné, haletant
rêvant de ravage
rêvant
sans savoir vers quelle bouche se tourner
p.47-48
POUR DIRE NOUS VOICI
extrait 2
Depuis — un autel mon nom d’effroi et un volcan. Ça a poussé.
Quelque chose s’est fait en mon absence. Arrivée lente à l’aveu-
gle autobiographie de mon espèce. Je commence tard à mourir
à chaque aube. Me relève tard mais rude résiste revis veux me
battre. Jusqu’aux étoiles. Dis oui nombreuse à voix violente.
POUR DIRE NOUS VOICI
extrait 5
Or tout (re)commence à mon soudain cri. Je suis espèce
deuillante indignée. J’envisage chaque jour prochain en nuit.
Chancelante résiste. Mon poing sur des sons drus d’encre.
Mon poing retient alarme et plaie respire planète et nostalgie
future. Me voici plurielle. Nous. En force qui soulève ce qui
s’effondre. Qu’on arrache. Qui revient s’afficher aux murs
d’angle de passage des villes — espoir aux phrases mobiles.
Vieille colère rose feu qui nous a fait nous dresser. À cet
ébranlement de la configuration antique des espèces humaines.
Ombre unanime. Les rubans hurlants de Jenny Holzer s’y enfouis-
sent encore. S’ouvrent encore somptueusement l’esprit le lieu
— océan de marbre d’un pavillon des Giardini.
Valise et chaussures
Petit pan de ville …
Petit pan de ville et d’instants aveugles.
En solitaire s’y ancrent
certaines silhouettes silencieuses
fractions fanées de foule.
Comment décoder la peur et l’euphorie
des lents bruits tropicaux
des lents cahiers
des lentes pages de meurtrissures et d’ailes
qui rampent en pleines ténèbres plein jour
juste avant un premier essai d’envolée.
La traversée sera lourde. Au fond
nos phrases le savent
leur écho froissé sous la énième doublure
d’océan de cuir et toujours là l’accroc.
Là ce quelque chose d’implacable
s’impatiente.
une pensée inclinée vers le monde
laisse des traces
écrire est un paysage sonore
l’œil la bouche l’épaule la main
lient les mots et les choses
je suis absorbée par es intentions de lumière
par la vie comme un geste dressé
rouge vif dans le poème
Sous les paupières
M’enfoncer vagabonde …
M’enfoncer vagabonde dans les blessures de la couleur.
Longuement nageuse.
Respirer sous cache d’écailles et de pensées.
Respirer.
Mon crawl courageux
cherche là un contrepoison.
Tout serait docile soudain.
Jusqu’à la masse d’insomnie.
Le geste simple.
Flotter.
Nourrir.
Imaginer.
Et je demanderais – derrière. Quoi.
Tu dirais presque rien. Cet organe toujours ravage
cogne. Clos.
Un grand désert occupé.
Ce qui s’en va se perd …
Ce qui s’en va se perd ce qu’on
cherche à contenir
cœurs et ombres en croix.
Encadré de mémoire.
Je dis la cendre ne laisse aucune syllabe
approcher. Je dis c’est l’épouvante
dans l’ovale cœur.
Bloc. Cendre unanime.
Tu me regardes.
Nous sommes debout
nous empilons nos peurs nos morts.
Il y en a toujours eu trop.
Leur vacarme – tu le sais
jusque dans ma voix. Comme un ventre.
Et nous dénombrons ensemble
nos épuisements. Les os de nos disparus.