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Citation de Nieva


Et toujours cette même question. Le rescapé, le trente-troisième petit cahier, comment faire ? On ne parvient pas à admettre que ce dernier bout de silence cartographié disparaisse. On ne veut pas refaire une seconde fois, le geste de poussières et feu : ce serait une aliénation de plus. Sans savoir pourquoi, des visions de statues nous viennent à l’esprit. On voit de longs visages, des têtes à moitié humaines, à moitié animales et sauvages, à moitié autre chose encore, mais on ne sait pas quoi. Ce sont des têtes pleines de moitié pense-t-on, à moitié pleines, vides aussi, et de moitié encore. Elles nous parlent, on ne saurait dire de quoi, et pourtant on sait bien qu’elles expriment parfaitement ce qui n’effleure jamais nos lèvres mais que l’on porte si lourdement et bien en travers : dans le corps. On réfléchit, on met à plat toute la nuit qui nous habille la poitrine. On se dit qu’il faut une vie pour admettre que quelque chose dépasse l’organisme. On se dit qu’après tout, ce n’est pas grand-chose, à notre âge on peut bien l’admettre, ne pas mentir sur le bilan. C’est tout petit la vie, tout petits : les morceaux qui brillent, et qu’ils étaient sans doute écrits dans les cahiers, à faire de la lumière encore, parfois, entre les feuilles. On n’avait pas le droit de tous les brûler ainsi. Ils n’appartenaient plus à personne, ils étaient simplement le résidu d’oubli, la trace d’une mémoire qu’il fallait recueillir. À présent que c’est impossible, c’est comme si elles hurlaient, qu’elles étaient faites pour hurler ces traces, jusqu’à jamais. On soupire. On sait, on reconnaît qu’on a eu tort de tout détruire. On touche du bout des doigts la couverture grise du cahier rescapé.
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