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Citation de Partemps


Editions Littérature Chinoise
6/
Les aléas du végétarisme
La psychose de la pandémie de grippe aviaire H5N1 a ces derniers temps été à l’origine d’une rumeur selon laquelle de riches hommes d’affaires organiseraient un colloque sur le thème « Pour vivre, il faut manger végétarien ». Ces businessmen restés anonymes étaient du calibre de Mai Van Dâu, Nguyên Lâm Thai ou Nguyên Duc Chi.

Les plus petits, du style Luong Trung Viêt, l’« arbitre corrompu » ou Lê Quôc Hô, le « faux Vénérable », y étaient réduits à la figuration. Quelle nouvelle étrange et sensationnelle ! Depuis toujours, être végétarien ne signifie rien d’autre que manger des fruits et légumes, alors que cette nébuleuse de magnats aime la viande de quelque créature animée que ce soit. Qu’elle soit terrestre ou aquatique. Qu’elle ait ou non des pattes. Leur passion vise surtout celles qui sont dotées de longues jambes.

Depuis la nuit des temps, être végétarien est un acte moral qui est l’apanage des religieux. Préserver la sérénité implique le choix de plats qui n’excitent pas les sens. Consommer des mets sains permet de progresser rapidement sur la voie de la sagesse. Le moine pourra ainsi s’appliquer à faire le bien. Afin d’atténuer les vicissitudes d’un dialogue solitaire avec le silence, la plupart des religieux adoptent un régime végétarien. Les végétaux sont nourrissants mais ne stimulent pas le désir sexuel, en silence ils mènent vers les sommets, fleurs et fruits foisonneront.

Aussi, dans un grand nombre de préceptes des religions, le végétarisme est-il strictement préservé. À l’époque des Tang, dans La pérégrination vers l’Occident, le bonze Chen Xuanzang, connu également sous le nom de Sanzang, en est un exemple éminent. De sa naissance au terme de son cheminement spirituel, il s’abstint de tout met à l’odeur de poisson ou de la moindre graisse.

Sa physionomie était toujours scintillante, d’un vert tendre comme la nature. Fasciné, un être aussi grossier que le cochon anthropomorphe Zhu Bajie, alla jusqu’à se débarrasser du titre de propriété de sa villa et de sa voiture pour le suivre avec ferveur. Il se fit moine mais jamais ne le quitta l’envie des plats salés. En son for intérieur, il savait qu’être végétarien était terriblement difficile, incomparablement plus ardu que de garder pour soi le gain d’un autre ou d’avaler d’un trait une enveloppe lorsqu’on est haut fonctionnaire.

Notre époque de richesse profuse a vu l’apparition brutale de gens qui ignorent la recherche de soutras mais dont la cupidité est abyssale. Jamais en quête de perfectionnement spirituel (mais plus sûrement d’alcool), ils abandonnent le salé pour le végétal. C’est absolument sublime.

Quel est le type de végétarisme de nos tycoon au ventre adipeux et souffrant d’un excès de cholestérol ? Ces hommes devenus austères comprennent que ce régime suppose la sincérité, tout en le pimentant de quelques longues jambes.

Dans leur esprit, être végétarien signifie que les fruits et légumes doivent être métamorphosés en plats de qualité supérieure, d’une propreté irréprochable mais enrobés d’une saveur de poulet, de poisson ou de porc. En bref, ces mets doivent ressembler au domaine ou à la villa où ils résident. Ils doivent être à l’image de ces résidences situées dans des zones reculées, littorales ou montagneuses mais dont le mobilier est somptueux et confortable.

La satisfaction tirée du régime végétarien serait analogue à celle qu’éprouve l’habitant dans une maison munie de fenêtres d’où il contemplerait les paysans, le derrière dressé, cultivant avec peine la rizière, mais aussi dotée d’une télévision à écran plat où s’agitent des stars aux seins nus. Ces nababs mangent végétarien pour mieux faire la fête. Ils espèrent que la pratique de la méditation en position assise atténuera leurs douleurs dorsales, fruit de leurs continuels ébats. Ils ont habilement transformé les sublimes gestes des religions éthérées qui visent à sacrifier sa vie en conservant pur son cœur, en un ensemble de grossières règles d’hygiène pour préserver leur corps. Ils ont le sentiment que jouer au golf ne suffit pas, avaler un homard dans un hôtel cinq étoiles non plus, ils sont si avides qu’ils veulent aussi avaler la pureté.

Dans notre monde de plus en plus gâté par la pollution, être végétarien est une méthode optimale pour nourrir sa vie. Le soutra Za ahan jing ne dit-il pas « Une main saine plongée dans un bol de poison jamais ne sera intoxiquée ». Être végétarien depuis toujours vise à se perfectionner pour cultiver la bonté. Mais cela n’a jamais été un moyen trompeur de développer son corps pour mieux avaler des saletés.

P.-S.
Nguyễn Việt Hà :
Fort d’une grande liberté tirée de sa place entre fiction et journalisme, le tạp văn (essai), permet à Nguyễn Việt Hà de décrire des fragments de la vie sociale, vivants et paradoxaux. L’humour occupe une place centrale dans ses textes. Un humour qui prend la forme de la satire (trào phúng trong thơ), tradition ancienne au Viêt Nam, de Hồ Xuân Hương (Giễu quan hậu) au XVIIe siècle à Tú Xương (Giễu người thi đỗ). Il tourne en ridicule des personnages (écrivains classiques ou contemporains, vedettes de la télévision), types sociaux, institutions ou œuvres littéraires. Nguyễn Việt Hà innove en ce qu’il pratique l’art du détournement. De ce dernier, nombre d’exemples apparaissent dans les essais ici publiés. L’auteur multiplie les citations, références littérales et explicites, et au prix de quelques modifications, les détourne vers un autre objet et leur donne une autre signification, le plus souvent pour exprimer son regard sur la société actuelle afin de divertir le public. Mais, dans la plupart des cas, son objectif n’est pas le divertissement gratuit de son public. Il se veut moraliste.
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