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Citation de EtienneBernardLivres


Ce monde bourgeois, vainqueur sur toute la ligne, n'a plus que des ridicules qui lui appartiennent ; il extirpe de son cœur toute passion compromettante, il encourage les opéras italiens et la littérature à la portée de toutes les intelligences. Le niveau baisse et s'étend.

Déjà apparaissent les contrefaçons, les imitations maladroites ; les derniers rangs de la bourgeoisie, pris du désir de briller, se laissent aller à une fièvre d'imagination, naturellement réduite aux convoitises les plus mesquines, aux appétits de faux luxe.
Le grand mot de M. Guizot, « Enrichissez-vous ! », devient la devise générale. Il faut s'enrichir, ou du moins faire croire qu'on est enrichi.

Première atteinte portée à la femme : ce n'est plus une mère, ce n'est plus une Muse. C'est déjà un objet de luxe et de décor. Et, à mesure que les appétits s'étendent, les charges deviennent plus lourdes, la cherté croissante augmente, pèse sur le budget.

La classe moyenne commence à quitter ses anciennes traditions de probité modeste et de confortable solide pour entrer dans cette existence artificielle, dans ce milieu factice, où toutes ses satisfactions de vanité se compenseront par une diminution du ménage, par une dégradation de la famille.

Voilà les premières origines ; mais, pour fixer la date précise où commence ce phénomène, la disparition de la femme, il faut se reporter à la brillante période du dernier régime, à cet instant de prospérité financière, d'exaltation industrielle, de spéculation transcendante, où la France, veuve de la liberté, se précipitait avec furie dans l'agiotage.
C'était le rêve des Mille et une Nuits réalisé en pleine lumière d'apothéose, à la clarté des feux de Bengale ; une féerie dans les caves de la Banque de France, Ali-Baba complété par Ruggieri.

On tambourinait par toutes les rues les entreprises les plus fantastiques ; sur des affiches larges comme le boulevard, on promettait des dividendes gros comme la Madeleine : sociétés en commandite, sociétés anonymes, tout se transformait en actions : mines de bitume dans la presqu'île de Gennevilliers, gisements de houille sur les coteaux d'Argenteuil ; le pavé de zinc ne fut plus un songe.
L'argent sortit de toutes ses retraites, et, devant cette invasion, une hausse colossale se produisit instantanément ; on vit la valeur des immeubles doubler, et les locations tripler de prix.

Le reste suivit le mouvement. Toute littérature à part, on put pleurer le beau temps à jamais disparu de Paul de Kock, l'époque radieuse où le chantre de la Laitière de Montfermeil commençait ainsi un de ses romans : « Gustave avait dix mille livres de rente, un entre-sol rue du Helder, un groom, un coupé et une maîtresse qui s'appelait Alphonsine. » Heureux Gustave, d'avoir tant de choses pour dix mille francs !

Hélas ! Gustave datait des premiers jours de 1830. Vingt-cinq ans plus tard, les dix mille francs de Gustave n'auraient plus suffi au seul logement d'Alphonsine ; ils ne suffisaient pas davantage à l'entretien d'un ménage sérieux. Si les recettes avaient augmenté d'un tiers, la cherté générale avait triplé et l'équilibre était détruit.

On était pris dans un engrenage de dépenses, entraîné par une fièvre de luxe chaque jour plus furieuse. Il fallait briller « pour se maintenir au niveau ». La classe moyenne n'hésita pas, et d'un bond courut à sa ruine. Sous l'âpre flagellation d'un orgueil exalté par l'exemple, exaspéré par la concurrence, aiguillonné sans cesse par les mille piqûres des rivalités féminines, on vit ce monde, jadis modeste, abandonner l'économie traditionnelle et viser au clinquant.
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