C'est là que, pour la première fois, je vis cet homme étonnant, dont les uns ont voulu faire un dieu, et que certains imbéciles ont traité de sot. Il a prouvé qu'il n'était ni l'un ni I'autre. Les jugements portés sur lui jusqu'à ce jour ont été trop près des événements pour être exempts de partialité. De longtemps encore on ne pourra faire une bonne histoire de Napoléon : il faut pour cela que les contemporains et leurs fils soient morts, que l'enthousiasme soit refroidi, que les haines soient éteintes.
Nous ne donnons plus de signal aujourd'hui quand nous nous battons ; commence qui veut, tue qui peut. Nos généraux ne haranguent plus comme du temps d'Homère, où ces messieurs étaient terriblement bavards. Ajax, fils d'Oilée, général de brigade d'Agamemnon, ne pouvait jamais commander un feu de bataillon sans faire un discours de trois pages.
Toutes les courbettes qu'il fallait faire avaient peu à peu changé le caractère de notre armée. La soif des baronnies et des dotations avait donné à nos vieux officiers, jadis républicains, toutes les habitudes des courtisans de Versailles, et souvent, dans la plus humble baraque, il s'est passé des scènes dignes de l'Oeil-de-beuf.