Virelai sur la tristesse du temps présent
Je ne voie ami n’amie
Ni personne qui bien die ;
Toute liesse défaut,
Tous cœurs ont pris par assaut
Tristesse et mélancolie.
Aujourd’hui n’est âme lie,
On ne chante n’esbanie (*), (*) ni se distrait
Chacun cuide (*) avoir défaut ; (*) pense
Li uns a sur l’autre envie
Et médit par jonglerie,
Toute loyauté défaut ;
Honneur, amour, courtoisie,
Pitié, largesse est périe,
Mais convoitise est en haut
Qui fais de chacun versaut (*) , (*) chute, culbute
Dont joie est anéantie :
Je ne vois amie n’amie.
Trop règne dolente vie ;
Cet âge ne durra mie,
Car d’honneur à nul ne chaut ;
Connaissance est endormie,
Vaillance n’est à demie
Connue ni mise en haut.
Loyauté, sens, prud’homie
Ni bonté n’est remerie (*) (*) récompensée
On lève ce qui ne vaut,
Et ainsi tout perdre faut,
Par non sens et par folie.
Je ne vois ami n’amie.