Journaliste à Jeune Afrique, Farid Alilat est spécialiste de l'Algérie. Il nous livre une passionnante biographie de Bouteflika, qui fourmille de révélations et d’anecdotes, consacrées à ce personnage hors norme de l’Algérie contemporaine et à la façon dont le pouvoir y est exercé.
Ce livre, est un travail de fourmi sur 20 ans, une longue enquête menée entre Alger, Oujda, Paris et Genève, semé d’anecdotes, de reportages dans les arcanes du pouvoir, d’entretiens et confidences menés avec de hauts responsables politiques et militaires, de diplomates, et de témoignages de proches et amis.
C’est un récit de la vie d’Abdelaziz Bouteflika menée par deux obsessions : conquérir le pouvoir et le garder à tout prix.
De son enfance au Maroc jusqu'à sa chute brutale, la vie de Bouteflika est un roman à rebondissements. Il a vécu plusieurs vies : député, ministre, président. Il a connu 8 chefs d’état français et 8 présidents algériens. Il a été chassé du pouvoir le 2 avril 2019 après 20 ans de règne.
Né en 1937 à Oujda, ville frontière du Maroc oriental, où ses parents originaires de la région de Tlemcen, avaient émigré. Son père sévère et absent, personnage douteux, entretenait des relations privilégiées avec la France et le Maroc, et avait reçu la Légion d’Honneur. Sa mère très fusionnelle et protectrice l’élève. A l’école, très doué en français et arabe, il est surnommé le fils de l’indic. Déjà à vingt ans, au cœur même de la guerre d’indépendance (à laquelle, à l’abri de la frontière, il n’a pas participé), Bouteflika voulait être président.
En 1958, il devient secrétaire administratif de Houari Boumediene, colonel de « l’armée des frontières » (base arrière de l’ALN) et membre du « clan d'Oujda ». Il le considèrera comme son père de substitution.
En 1962, il devient député de Tlemcen et ministre de la jeunesse et sports dans le 1er gouvernement de l’Algérie indépendante, sous Ben Bella. Puis à 26 ans, il deviendra son ministre des Affaires étrangères et ensuite celui de Boumediene. Bouteflika n’a pas la réputation d’être un acharné du travail. Il se rend rarement à son bureau. Il reçoit ses proches collaborateurs chez lui ou bien dans une des annexes du ministère. La lecture des dossiers l’ennuie. Il compense cela par le téléphone, une grande capacité de captation et une mémoire d’éléphant. Ses escapades, bouderies, fugues et disparitions inexpliquées (New York, Cuba, Paris, Genève) finissent par lasser. Il a une réputation de noceur, et mène déjà un train de vie dispendieux. Négligent, à la concentration limitée, il est souvent mis à l’écart des dossiers diplomatiques. Pourtant il gère la prise d’otages de l’OPEP à Vienne par Carlos et un dossier d’espionnage en France dans les affaires pétrolières (« Tony ») ; il préside l’AG des Nations Unies en 1974.
En 1976, lors de l’élaboration de la Constitution, Bouteflika voudrait qu’on y introduise le poste de vice-président, car il veut être le dauphin de Boumediene. Il devra attendre son heure (jusqu'en 1999).
Après la mort de Houari Boumediene, Chadli Benjedid est élu président le 9 février 1979. Il sera réélu deux fois en 1984 et 1989.
Bouteflika perd son ministère d’Etat pendant la présidence de Benjedid pour inculpation de détournement de fonds des ambassades algériennes à l’étranger. La cour des comptes le condamne à reverser les sommes dues. C’est la descente aux enfers. Commencent de 1981 à 1987 des années de traversée du désert. Il s’exile en Syrie, en Suisse, aux Emirats Arabes Unis, en France.
En octobre 1988, des manifestations eurent lieu avec la montée de l'islamisme . L'armée, fit plus de 500 morts.
De retour en Algérie en janvier 1987, Il est réhabilité en mars 1989, et est élu membre du comité central du parti unique. Il est pressenti pour occuper des fonctions de ministre, il décline ces propositions. Aux élections législatives de 1991, craignant de perdre le pouvoir et de voir la victoire du Front islamique du salut (FIS) , l'armée annula les élections, forçant le président Chadli Bendjedid à démissionner après 13 ans d’exercice.
Le pouvoir présidentiel est transféré au Haut Comité d’État (HCE) avec Mohammed Boudiaf qui sera assassiné 5 mois plus tard. Commence alors la Guerre civile qui oppose le FLN aux islamistes et qui durera jusqu’en 2002.
La nouvelle constitution entérine la fin du parti unique. En 1993, les généraux le sollicitent pour devenir président à l’expiration du mandat du HCE. Bouteflika négocie, Les militaires acquiescent à toutes ses conditions, mais Bouteflika refuse, d’être adoubé par la conférence nationale. Il claque la porte au nez des généraux. Il prend son vol pour Genève. Il attend son heure. Son ambition, et son obsession du pouvoir restent intactes. Le général Liamine Zéroual est élu en novembre 1995 et annonce en septembre 1998 une élection présidentielle anticipée à laquelle il ne sera pas candidat.
Cette fois, Abdelaziz Bouteflika, à nouveau pressé par les militaires, saisit sa chance. Il a raté à deux reprises d’être au pouvoir. Son ambition est restée intacte. Même à l’écart de cette décennie sanglante, il n’a jamais perdu espoir que les militaires le solliciteraient.
Il se révèle un tribun hors pair, théâtral, intarissable, et promet la fin de la corruption, du clientélisme, et du népotisme, se présente comme le rédempteur. Les 6 candidats opposés se désistent. Il veut un score supérieur à 62% sinon il menace de s’exiler à nouveau. Maître chanteur, arrogant, méprisant avec ses adversaires, de mauvaise foi, il obtient 73,8% des voix, Il est élu le 15 avril 1999 à 61 ans.
A son arrivée à la tête de l’Etat le président profite d’une période clémente grâce aux prix du pétrole en hausse. Bouteflika peut s’atteler au grand chantier de son premier mandat : la concorde nationale, son œuvre la plus remarquable.
Cette loi, propose l’amnistie des groupes islamistes qui rendent les armes, à condition qu’ils ne soient pas coupables de crimes de sang ou de viol. Grâce à la volonté générale d’en finir avec la violence de la décennie noire, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est adoptée par référendum à 90%.
La violente répression des Kabyles durant le "Printemps noir", d’avril à juin 2001 le fragilise. Depuis son arrivée au pouvoir, il a menacé maintes fois de rendre son tablier, notamment pendant cette crise.
Bouteflika veut interdire toutes les voix d’opposition dans les médias, ne place sa confiance que dans l’entourage immédiat, (surtout sa mère, la femme de sa vie et son frère Saïd). Il veut gouverner et décider seul. Son chef de gouvernement a peu de marge de manœuvre sur les dossiers (loi sur les hydrocarbures).
En 2004, Bouteflika a réussi à provoquer un schisme entre les deux têtes de l’institution militaire : il a divisé l’état-major et les services de sécurité (Général Lamari et Médienne, dit « Toufik »). Grâce aux fraudes massives, il est réélu à 85%. En novembre 2005 est hospitalisé en urgence à l’hôpital militaire du Val de Grâce, à Paris, pour un ulcère à l’estomac.
Il veut une présidence à vie, un pouvoir sans partage, sans contrôle, sans alternance. Il amende la constitution pour pouvoir se représenter une 3ème fois en 2009. Les oligarques financent la campagne électorale et en retour bénéficient de contrats juteux. Des scandales de corruption, de malversation, de dilapidation des deniers publics éclatent. (L’entreprise nationale d’hydrocarbures Sonatrach). Bouteflika promeut la corruption chez les élites pour mieux les contrôler et les asservir. Il est réélu avec 90% des voix.
En 2013, Bouteflika a tous les pouvoirs en main : Présidence, gouvernement, Assemblée nationale, armée, UGTA, oligarques, médias publics… tous les réseaux et tous les leviers pour être de nouveau réélu. Il veut mourir sur le trône, son frère Saïd veut peser sur sa succession, les hommes d’affaires veulent consolider leurs richesses et le clan garder le pouvoir. Alors qu’il apparait de plus en plus affaibli au fil des ans, le chef de l’État subit, en avril 2013, un important AVC. Une nouvelle fois, il est hospitalisé en urgence au Val de Grâce. Il rentre à Alger quatre mois plus tard, mais reste profondément marqué par ce nouveau problème de santé.
Maintenir Bouteflika au pouvoir, c’est l’assurance de ne pas devoir rendre des comptes. Tous ceux qui sont aujourd’hui en prison ont soutenu le 4e et le 5e mandats.
Une tentative de printemps arabe a lieu début 2011. Mais les manifestations ne durent que quelques mois et restent sans lendemain. Elles sont sévèrement réprimées, comme en Egypte ou en Libye.
Le pouvoir débourse 30 Milliards pour subventionner les produits de nécessité, des emplois offerts, des logements et réussit à étouffer, comme à son habitude, toute velléité de contestation sociale.
À 82 ans, le président algérien Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis bientôt 20 ans, est candidat à sa propre réélection. Malgré ses problèmes de santé et ses hospitalisations à répétition, il brigue son cinquième mandat à la tête d’un pays rongé par la corruption et le clientélisme. Avec la baisse du prix du pétrole et la dégradation de la santé du chef de l’Etat, les tensions sociales augmentent. Fin février 2019, des dizaines de milliers d’Algériens manifestent dans les grandes villes du pays, contre sa réélection.
Il est contraint d'abdiquer. L'armée, qui a fait appel à lui vingt ans plus tôt, lui donne le coup de grâce en le sommant de démissionner le soir du 2 avril 2019.
Il voulait mourir président, avoir des funérailles nationales et entrer dans la postérité, il finit seul en exil, sans son frère cadet Saïd, jeté en prison en mai 2019 pour complot contre l'armée et l'Etat. Tebboune est élu le 12 décembre 2019.
Ancien membre de l’ALN, député, ministre, exilé, président, Bouteflika aura tout connu du système politique algérien.
Ecrit d’une plume alerte, ce livre de 400 pages se lit aisément, même s'il souffre de quelques petites redites. Les chapitres sont courts et le style est vivant. L’essentiel est vraiment dans ce travail de recherche et de reconstitution du parcours d’Abdelaziz Bouteflika, glaçant personnage. La lecture de ce livre nous éclaire sur les ressorts de la mécanique du pouvoir algérien. C’est une plongée dans ses secrets. Les 20 ans de règne du clan Bouteflika ont non seulement organisé la dilapidation de la rente pétrolière, le pillage généralisé mais aussi fait perdre des compétences et un temps précieux pour le développement du pays.
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