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Citation de Tempsdelecture


Il y avait un instant à Lapa, juste avant le lever de soleil, quand les cabarets avaient fermé et que les visiteurs étaient rentrés dans leurs quartiers bien sages, ou les seuls sons qu’on entendait lorsqu’on déambulait dans les allées sombres provenaient des rodas. C’étaient les voix enrouées, les tristes et lentes mélodies. C’étaient les chansons secrètes, brutes de décoffrage et qui n’étaient pas censées voir la lumière du jour. C’était les chansons qu’on jouait quand toutes les autres avaient déjà chantées et que la nuit se résumait à un manque ; quand il n’y avait plus d’alcool, plus d’amis, plus de filles riant aux éclats, plus de cigarettes, plus de nourriture dans le ventre ou d’eau dans le verre, juste toi et un guitariste, seuls dans l’obscurité, oubliant tout sauf vos voix et les paroles d’une chanson bien enfouie au plus profond de vous, que vous avez toujours connue mais jamais partagée avant cet instant. Parfois, il y a des auditeurs insoupçonnés : une jeune mère à sa fenêtre, un couple emmêlé dans des draps, une jeune fille en pantalon et béret, les mains dans ses poches, les lèvres enflammées par de nombreux baisers, le corps délicieusement engourdi à des endroits qu’on lui avait toujours dit de ne jamais toucher. Elle s’arrête, entend la lamentation de la roda, et c’est comme si sa vie en dépendait. Comme si tout ce qu’elle avait vécu jusque-là – chaque raclée, chaque mensonge, chaque honte, chaque élan d’amour et chaque triomphe (aussi peu nombreux soient-ils) – l’avait menée ici, en cet instant, à portée d’oreille d’une chanson que personne n’était censé entendre. Le rythme l’enveloppe. La musique, tel un pré ou un lit douillet, est un endroit ou elle peut toujours se réfugier. C’est une maison comme nulle autre pareille.
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