Les noix, leur destin normal est d’être bouffées par les corbeaux ou vendues sur les marchés. Ou alors de pourrir par terre et faire un nouveau noyer. Ici, à Bambois leur destin est tinctorial. Pour cela, il ne faut pas les laisser murir, mais les cueillir en juillet déjà vertes, les broyer alors, les faire bouillir avec la laine. C’est alors que j’ai la révélation de leur âme immortelle : le fauve.
L’attente du printemps est si longue. C’est le plus dur chaque année. Une attente, et passe l’année très vite, légère ; et revient l’hiver, et une autre attente. Une fois encore. Une attente et plus de foin, pas de grain ; que de dettes et la neige et la boue. Enfin les agneaux piailleurs dans la première herbe verte. Une attente, et il neige. Le printemps est très en retard et n’arrête pas de se faire désirer. Une attente, et il faut durer jusqu’à la poussée de la petite herbe de la première poussée. Nous sommes affamés d’herbe autant que les bêtes à l’étable et y en a marrent, il faut que cela change.
La teinture est un jeu. Une improvisation perpétuelle. Je me fous des kilos. Je ne pèse plus rien, ni les plantes, ni la laine, ni les mordants. Je marche à l’instinct, et ça va toujours. Comme ça, je n’ai jamais eu deux fois le même ton. C’est le poème improvisé. Jusqu’au dernier moment, je ne sais pas le résultat. Parfois, je fais durer le feu une heure, d’autres fois la journée et la nuit encore. On me demande souvent : « Quel est votre rendement ? Quelle quantité de plante donne ce vert ? » Cela dépend du soleil, de la pluie, de la saison, de mes humeurs claires ou sombres.