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Citation de Jacopo


VISITEUR DU JARDIN...

Visiteur du jardin, prends garde que les roses
Ne s'effeuillent au cri des grilles longtemps closes.
Ne va pas réveiller le lion de granit,
Qui depuis tant de jours bâille sur un pilastre
Que des abeilles dans sa gueule ont fait leur nid.
Vole, rends tes talons plus légers que les astres
Qui glissent dans les nuits chaudes, silencieux...

Ami, nos grands parents vécurent là très vieux.
C'étaient de bonnes gens dont, en nous, la mémoire
S'allie à l'odeur saine et franche de l'armoire
De famille, parfums de fruits, de linge frais,
Parfums nourris de vertu sobre et sans apprêts.
Cœurs simples, ils gardaient dans leur sagesse affable
Un doux air suranné de proverbe et de fable.
Et, volontiers parlant de leurs jeunes saisons,
Ils bénissaient le soir évanoui d'automne
Où, le seigneur du lieu mettant son vin en tonne,
Tous deux, loin des vivats, des flambeaux, des chansons,
Loin des flûtes menant le bal sur les pelouses,
Ils s'étaient fiancés sous les yeuses jalouses...

C'est là, dans cet enclos, de leur âme encor plein,
Que ma petite enfance a croisé leur déclin,
Et mon premier regard s'étonna de leurs rides.
Maintenant, dans le lit des fontaines arides.
Des lézards dorment sous les pierres, engourdis.
L'herbe amoureusement monte aux genoux verdis
D'une nymphe effrayée, et seul, au grand silence.
Un taon dans une fleur bourdonne et se balance...
Cependant, lourd de suc, imprimant son pied nu
Dans la vase. Septembre obèse est revenu,
Et son souffle a rôti les raisins dans les treilles.
Des mains, j'entends des mains froisser les pampres roux,
Les ciseaux zézayer insinuants et doux.
J'entends crier l'osier fléchissant des corbeilles...
O charme du passé qui s'évade le soir.
Et rôde, et fait craquer les feuilles des allées!
Un caillou sous des pas a roulé; l'arrosoir
Retentit invisible aux citernes dallées;
Le jet d'eau se réveille; une voix, qu'on dirait
Du fond des temps venue, entonne une ariette,
Et dans le vieux bassin tout frissonnant s'émiette
L'image pâle de l'Amour qui s'y mirait...

Visiteur du jardin, si tes pieds sur la route
Ont saigné, rougissant l'herbe dure que broute
L'âne veuf de Silène errant et détrôné.
Si ton cœur, fastueux et misérable, est né
Poète, apte à souffrir du mal visionnaire.
Viens, le dieu du logis est un dieu débonnaire,
Assieds-toi sur le banc de mousse et ne crains plus.
Jette à l'oubli les mauvais livres que tu lus.
Jette au soir embrasé le fagot de tes fautes.
Puis, retrempe ton âme au souvenir des hôtes
Qui, simplement, pour prix d'un bel amour bien droit,
Ont savouré la paix divine en cet endroit.
Heureux, ils ont connu les longues hyménées.
Tendre alanguissement féminin des années.
Caresse, au cœur, d'un vieux soleil de Saint-Martin!
Heureux, car ils ont pu, guéris de l'acre envie.
Sourire, par dessus l'épaule, vers la vie
Vécue, et qui n'est plus, au bord du ciel lointain,
Comme Paris, le soir, vu des tristes banlieues.
Qu'un peu d'or qui palpite au fond des cendres bleues.
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