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Citation de Princessemandchoue


Et donc, nous voilà, les hommes, autour de la table. Israël au dessert. Deux arguments prenaient toujours le dessus. Le premier affirmait que, puisque nous n’étions pas sur place, nous ne pouvions pas juger. Que les Israéliens annexent le Golan, mènent une guerre meurtrière au Liban, ils avaient de bonnes raisons pour ça. Elles pouvaient nous sembler obscures, mais, nous qui vivions dans le confort de la France, nous ne pouvions qu’accepter, de loin. C’était le prix à payer. Israël achetait leur silence, cette solidarité minimum pour n’avoir pas le courage, au fond, d’être là-bas. Mon oncle, le seul de la famille, à avoir des convictions sionistes, aura cette cohérence d’emmener les siens en Israël après avoir vendu suffisamment de couvertures pour s’y faire construire une villa proche de Xanadu, m’a-t-on dit. Mais la guerre a plusieurs fronts et compte sur celui de la Diaspora. L’autre argument était, si l’on veut, plus profond. Les Palestiniens, qui détournent des avions, font des incursions terroristes en Israël et tentent de mobiliser le monde arabe, ça n’existe pas. Non seulement les Palestiniens n’existent pas, mais ça n’existe pas – entendre : cette prétention à former un peuple. Leur revendication sur la Palestine est donc usurpée. Les Transjordaniens, les Jordaniens, oui, ça existe, hélas ! et maintenant que du désert les Israéliens ont fait un jardin, ça les intéresse.

Je m’imaginais un peuple débarquant dans le désert et tout d’un coup, blam ! des oranges, des maisons, l’air conditionné. C’est pas dingue ? Si. Complètement. Et même inacceptable. Alors comment accepter dans cet après-guerre qui n’en finissait pas que les juifs aient pu pratiquer l’épuration ethnique contre un peuple vivant sur sa terre ? Il fallait lever deux barrages contre cet opprobre. Le plus immédiat était qu’il n’y avait pas de peuple. Et le second que, en réalité, nous avions contre nous des puissances pétrolières, et comme damnés de la terre, on trouvera mieux, merci. Ce mirage durera longtemps, jusqu’à la première Intifada. Ce que les anciens Transjordaniens, Jordaniens, Arabes auront alors gagné, dans la honte d’envoyer leurs enfants lutter contre les chars israéliens à coups de pierres (“Tu ne crois pas qu’il seraient mieux à l’école ?”), c’est le droit d’être appelés, dans ma famille, par leur nom. Ils s’appellent les Palestiniens.

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil, p. 76-78 (ital. de l’auteur).
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