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Citation de Princessemandchoue


Je regardais fixement le bras nu de la vieille dame.

Le bus fonçait dans le désert. Il s’arrêtait parfois pour cueillir au passage une famille palestinienne ou un vieil homme au costume limé portant es sacs et un keffieh. On disait alors « Arabes-israéliens », pour nier que la Palestine eût un contour géographique, une histoire, un passé et faire croire que la greffe avait pris (p. 115).

Je regardais fixement le bras nu de la vieille dame.

Putain ! mais qu’est-ce que je cherche là à scruter un numéro tatoué sur la peau d’une vieille femme ? Je n’ai pas de préhistoire familiale avec les déportés. C’est ça mon problème ? Un grand-père fusillé dont je n’ai rien su et des sœurs de ma Nona dont on nous disait qu’elles n’étaient pas « revenues ». Pas de récits. Plus rien ne s’oppose à la nuit. Enfant, je me souviens qu’une amie de mes parents nous avait montré, après l’avoir retirée d’un papier de soie, l’étoile jaune qu’avait portée sa mère. J’aurais tout donné pour posséder ce morceau de tissu dont la gloire sinistre m’aurait auréolé. Alors je n’ai rien à moi ? Je n’ai pas le droit de souffrir, moi aussi ? Alors je fouille – un vrai chien truffier. Je regarde la peau de la vieille femme. Fatiguée, tâchée, flétrie. La peau est ce qui sépare l’intérieur de l’extérieur (p. 128-129).

À force d’insistance, la vieille femme me regarde, gênée. Est-ce que je ne peux pas lui foutre un un peu la paix ? La vérité du cauchemar m’est inaccessible, je me contenterai de son souvenir, même si je dois pour cela renvoyer une vieille dame en enfer. Quel autre moyen ai-je de prendre ma part ? qu’est-e qu’on m’a laissé à moi ? Les restes. Les images. Comment revendiquer l’héritage ? Comment caresser le bonheur d’avoir un jour été malheureux ? Pourquoi aimons-nous tant la souffrance ? Comment ont-ils su qu’elle était faite pour nous ? Faite nôtre ? La nôtre. La seule. Pourquoi avons-nous écrit notre destin dans l’encre de la nuit bleue des images ? Comment ont-ils su que ce que l’on tatouait au père, le fils ne voudrait pas l’effacer ? Et qu’il aimerait cela d’un amour méprisable. Ce désir narcissique d’être invité à la table du malheur (p. 131).

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil.
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