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Citation de Albucius


Si l'héliolatrie était d'accord avec les doctrines scientifiques de l'époque, elle n'était pas moins conforme à ses tendances politiques. Nous avons essayé de montrer quelle connexité existait entre l'adoration des empereurs et celle du « Soleil invincible ». Lorsque les Césars du IIIe siècle se prétendirent des dieux descendus du ciel sur la terre, la revendication de leurs droits imaginaires eut pour corollaire l'établissement d'un culte public de la divinité dont ils se croyaient l'émanation. Héliogabale avait réclamé pour son Baal d'Hémèse la suprématie sur tout le panthéon païen. Les excentricités et les violences de ce déséquilibré firent lamentablement échouer sa tentative, mais elle répondait aux exigences du temps, et elle fut bientôt reprise avec un meilleur succès. Aurélien consacra, près de la voie Flaminienne, à l'est du Champ de Mars, un édifice colossal au dieu tutélaire qui lui avait donné la victoire en Syrie. La religion d'Etat qu'il institua ne doit pas être confondu avec le mithriacisme : son temple grandiose, ses cérémonies fastueuses, ses jeux quadriennaux, son clergé de pontifes rappellent les grands sanctuaires de l'Orient et non les antres obscurs où se célébraient les mystères. Néanmoins le Sol invictus que l'empereur avait voulu honorer avec une pompe jusqu'alors inouïe, pouvait être revendiqué comme leur par les fidèles de Mithra.

La politique impériale donnait dans la religion officielle la première place au Soleil, dont le souverain était l'émanation, de même que la planète royale dominait les autres étoiles dans les spéculations chaldéennes propagées par les mithriastes. Des deux côtés, on tendait même à voir dans l'astre radieux qui illumine l'univers, le dieu unique, ou du moins l'image sensible du dieu unique, et à établir dans les cieux le monothéisme à l'imitation de la monarchie qui régnait sur la terre. Macrobe dans ses Saturnales expose doctement que toutes les divinités se ramènent à un seul Être considéré sous des aspects divers, et que les noms multiples, sous lesquels on les adore, sont des équivalents de celui d'Hélios. Le théologien qui défend cette syncrasie radicale, Vettius Agorius Prétextât, fut non seulement un des plus hauts dignitaires de l'empire, mais un des derniers chefs des mystères persiques.

Le mithriacisme, au moins au IVe siècle, eut donc pour objectif, en réunissant tous les dieux et tous les mythes dans une vaste synthèse, de fonder une religion nouvelle, qui devait être en harmonie avec la philosophie régnante et avec la constitution de l'empire. Cette religion aurait été aussi éloignée du vieux mazdéisme iranien que du paganisme gréco-romain, qui ne laissait aux puissances sidérales qu'une place minime. Elle eût en quelque sorte ramené l'idolâtrie à ses origines, et retrouvé, sous les mythes qui en avaient obscurci la compréhension, la nature divinisée. Rompant avec le principe romain de la nationalité des cultes, elle eût établi la domination universelle de Mithra, assimilé au Soleil invincible. Ses adhérents espéraient, en concentrant toutes les dévotions sur un seul objet, donner à des croyances désagrégées une cohésion nouvelle. Le panthéisme solaire fut le dernier refuge des conservateurs menacés par une propagande révolutionnaire qui poursuivait l'anéantissement de tout l'ancien ordre de choses.

A l'époque où ce monothéisme païen prétendit régner à Rome, la lutte entre les mystères mithriaques et le christianisme avait depuis longtemps commencé. La propagation des deux religions avait été à peu près contemporaine, et leur expansion s'était opérée dans des conditions analogues. Venues toutes deux de l'Orient, elles se répandirent à la faveur des mêmes causes générales, l'unité politique et l'anarchie morale de l'empire. La diffusion de l'une et de l'autre se produisit avec une rapidité semblable, et, au déclin du IIe siècle, elles comptaient pareillement des adhérents dans les régions les plus lointaines du monde romain. Les sectateurs de Mithra auraient pu s'approprier à bon droit les hyperboles de Tertullien : Hesterni sumus et vestra omnia implevimus... Si l'on considère la quantité de monuments que le culte persique nous a laissés, on peut même se demander si, à l'époque des Sévères, ses adeptes n'étaient pas plus nom- breux que les fidèles du Christ. Une autre simili- tude entre les deux églises opposées, c'est qu'au début elles firent des prosélytes surtout dans les classes inférieures de la société. Leur propagande fut à l'origine essentiellement populaire ; contrairement à l'enseignement des écoles philosophiques, elle s'adressa moins aux esprits cultivés qu'à la foule, et fit par conséquent appel au sentiment plutôt qu'à la raison.

Mais à côté de ces similitudes, on remarque dans les moyens d'action des deux adversaires des différences considérables. Les premières conquêtes du christianisme furent favorisées par la Diaspora juive, et il se répandit d'abord dans les contrées peuplées de colonies israélites. C'est donc surtout dans les pays baignés par la Méditerranée que ses communautés se développent ; elles n'étendent guère leur champ d'action en dehors des villes, et leur multiplication est due pour une grande part à des missions entreprises dans le but exprès « d'instruire les nations ». Au contraire, l'extension du mithriacisme est due avant tout à l'action de facteurs sociaux et politiques : importation d'esclaves, transferts de troupes, déplacements de fonctionnaires publics. C'est dans l'administration et dans l'armée qu'il compte le plus de zélateurs, c'est-à-dire là où les chrétiens restent très clairsemés à cause de leur aversion pour le paganisme officiel. En dehors de l'Italie, il se propage principalement le long des frontières, et prend pied simultanément dans les cités et dans les campagnes; il trouve ses points d'appui les plus fermes dans les provinces danubiennes et en Germanie, tandis que l'Église fait les progrès les plus rapides en Asie Mineure et en Syrie. Les domaines des deux puissances religieuses ne coïncidaient donc pas, et elles purent s'étendre assez longtemps l'une et l'autre sans entrer directement en conflit. C'est dans la vallée du Rhône, en Afrique et surtout dans la ville de Rome, où toutes deux étaient solidement établies, que la concurrence était particulièrement vive au IIIe siècle entre les collèges d'adorateurs de Mithra et la société des fidèles du Christ.

La lutte entre les deux religions rivales fut d'autant plus opiniâtre que leurs caractères étaient plus semblables. Leurs adeptes formaient pareillement des conventicules secrets, étroitement unis, dont les membres se donnaient le nom de « Frères ». Les rites qu'ils pratiquaient, offraient de nombreuses analogies : les sectateurs du dieu perse, comme les chrétiens, se purifiaient par un baptême, recevaient d'une sorte de confirmation la force de combattre les esprits du mal, et attendaient d'une communion le salut de l'âme et du corps. Comme eux aussi, ils sanctifiaient le dimanche, et fêtaient la naissance du Soleil le 25 décembre, le jour où la Noël était célébrée, au moins depuis le IVe siècle. Ils prêchaient de même une morale impérative, tenaient l'abstinence et la continence pour méritoires, et mettaient au nombre des vertus principales le renoncement et l'empire sur soi-même. Leurs conceptions du monde et de la destinée de l'homme étaient similaires: ils admettaient les uns et les autres l'existence d'un ciel des bienheureux situé dans les régions supérieures et d'un enfer peuplé de démons, contenu dans les profondeurs de la terre ; ils plaçaient aux origines de l'histoire un déluge ; ils donnaient comme source à leurs traditions une révélation primitive ; ils croyaient enfin à l'immortalité de l'âme et à
une rétribution future, au jugement dernier et à la résurrection des morts dans la conflagration finale de l'univers.

Nous avons vu que la théologie des mystères faisait du Mithra « médiateur » l'équivalent du Logos alexandrin. Comme lui, le Christ était le μεόίτης, l'intermédiaire entre son Père céleste et les hommes, et, comme lui encore, il faisait partie d'une trinité. Ces rapprochements n'étaient
certainement pas les seuls que l'exégèse païenne établît entre eux, et la figure du dieu tauroctone,se résignant à contre-coeur à immoler sa victime pour créer et sauver le genre humain, avait certainement été comparée à celle du Rédempteur se sacrifiant pour le salut du monde.

D'autre part, les écrivains ecclésiastiques, reprenant une métaphore du prophète Malachie, opposent le « Soleil de justice » au « Soleil invincible», et consentent à voir dans le globe éblouissant, qui éclaire les hommes, un symbole du Christ, « lumière du monde ». Faut-il s'étonner que la foule des dévots n'ait pas toujours respecté les distinctions subtiles des docteurs, et qu'obéissant à une coutume païenne, elle ait offert à l'astre radieux des hommages que l'orthodoxie réservait à Dieu ? Au Ve siècle, non seulement des hérétiques mais de vrais fidèles s'inclinaient encore vers le disque flamboyant, au moment où il se levait sur l'horizon, et murmuraient la prière : « Ayez pitié de nous. »

Les similitudes entre les deux églises ennemies étaient telles qu'elles frappèrent tous les esprits dans l'antiquité même. Dès le IIe siècle, les philosophes grecs établissaient entre les mystères persiques et le christianisme un parallèle qui devait évidemment être tout à l'avantage des premiers. De leur côté, les Apologistes insistent sur les analogies des deux religions, et les expliquent par une contrefaçon satanique des rites les plus sacrés de leur culte. Si les oeuvres polémiques des mithriastes étaient conservées, nous y verrions sans doute la même accusation rétorquée contre leurs adversaires.

Nous ne pouvons nous flatter aujourd'hui de trancher une question qui divisait les contemporains,et qui restera sans doute toujours insoluble. Nous connaissons trop mal les dogmes et la liturgie
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