Celui qui assassinait un dictateur passait pour un héros jusqu'au jour où, devenu dictateur à son tour, il était assassiné par un autre héros.
Il vit Juan Seguin aller à cheval jusqu'à une petite éminence hors de la ville ; il demeura là un moment, tourné vers le sud, à guetter son neveu. Juan Seguin était du côté des Américains, comme d'autres, à Bexar, qui parlaient de liberté et de justice.
Des imbéciles. Ils allaient aider les Américains à former un état, et les Américains les avaleraient ensuite, tout comme les Espagnols avaient essayé d'avaler les Mexicains, tout comme les Mexicains essayaient maintenant de s'avaler les uns les autres.
La liberté, elle était dans l'herbe, dans le vent, dans les longues randonnées sur un bon cheval, jusqu'en des lieux où personne ne vous donnait d'ordres. C'était cela, la liberté, et non pas les bruyantes palabres des hommes.
Quant ils seraient bien vieux, Juan Seguin et les autres sauraient ces choses – s'ils vivaient assez longtemps pour ça.
Le jeune Carlos ne pouvait s'empêcher de lancer des coups d'œil sur les pieds nus des morts, des pieds durs et calleux, qui avaient suivi la charrue dans quelque pauvre champ, derrière un "burro", et qu'on recouvrait maintenant de grosses pierres. Carlos avait vu des pieds comme ceux-là toute sa vie. Brusquement, il se sentit saisi d'une terrible colère contre tous les malheurs qui arrivaient sans cesse au Mexique ; mais, comme il ne pouvait les comprendre, sa rage se concentra, s'aiguisa, tel un poignard, contre un seul homme, Santa Anna.
Il rêva de le tuer. Mais il savait que El Presidente ne passerait pas par cette brèche pendant le combat. Si bien que Carlos résolut d'assouvir sa haine sur ceux qu'enverrait Santa Anna, pauvres hommes qu'ils étaient, avec des pieds pareils à ceux que l'on couvrait de pierres.