Carolina s’était promis de ne pas pleurer, de ne pas se retourner pour regarder une dernière fois Dalpe et son cirque de montagnes, amphithéâtre de sa première vie qui s’achevait là un matin de juillet. Mais les sentiments qui l’envahirent soudain créèrent un tel émoi qu’elle ne résista pas à jeter un ultime regard derrière elle. Ce ne furent pas les sommets encore enneigés ou la cascade aux eaux jaillissantes qu’elle perçut en premier, mais la chapelle où elle avait été baptisée et où elle s’était mariée, un édifice qui, par son clocher, pointait à jamais vers le ciel les temps essentiels de sa vie. Personne ne remarqua les larmes qui coulèrent sur sa joue. Pas même sa sœur. Elle les essuya du revers de sa manche. Il lui fallait désormais regarder droit devant. Une route nouvelle s’ouvrait maintenant à sa famille et à elle-même.
Les premières gelées blanches approchent, mais le vent léger du soir reste doux. Il porte les chants des oiseaux, les bruissements des châtaigniers, des feuilles de maïs sèches, et plus loin les bruits familiers de la ferme. Je m’enivre à pleins poumons de ces parfums d’humus, de lichens, d’écorces, de ces senteurs de sapins mélangés. J’ai envie d’étreindre la forêt toute entière.C’est là que je suis né, quelques années après le début du siècle, au milieu d’elle, au cœur de la Sologne. Jamais je ne l’ai quittée, sauf pendant mon service militaire et mon temps de guerre.J’en connais chaque arbre que j’ai vu grandir, qui m’ont vu grandir. J’en connais chaque allée, chaque sentier, chaque détour, chaque layon que j’ai tracé.Un peu plus d’un demi-siècle au sein de ma forêt crée des liens indéfectibles. Elle et moi ne faisons qu’un.
Sur les bords de Loire, Agylus chevauche son puissant étalon brun qui galope à vive allure en direction du levant, le midi à sa main droite. Sa chasuble pourpre cousue de fils d’or vole au vent et sa longue épée retenue par son ceinturon se balance au rythme de la course. J'ai peine à le suivre avec ma solide monture, tant il impose à son cheval un galop rapide. Il apparaît tel que je l'ai connu, valeureux combattant sur les champs de bataille, compagnon du roi toujours à la pointe de l'offensive, chevalier sans reproche, que rien n'arrête jamais.