On eut le grand tort, par la suite, de considérer les revendications roumaines entièrement satisfaites et les traités de 1919 et de 1920 comme leur expression définitive. Leurs dispositions n'étaient en réalité que le résultat d'un compromis, entre des aspirations ethniques plus étendues et la pression des Grandes Puissances, qui en marchandèrent longuement la reconnaissance. Le véritable fondement de l'unité roumaine n'a été établi ni à Saint-Germain, ni à Trianon ; il est constitué par l'existence même du peuple roumain, énigme et miracle de l'histoire du Sud-Est de l'Europe, et par la mission qui lui est dévolue par sa situation géographique. À ce point de vue, les événements de 1919 comportent une conclusion qui n'est pas négligeable : s'il n'y avait pas eu alors, du Dniestr à la Theiss élément organisé et conscient de résistance et de réaction qu'était l'armée romaine, le spectre de l'armée rouge universelle sur les bords du Rhin, qui hantait comme un cauchemar les nuits de Lloyd George, serait devenu facilement une terrible réalité. Entre la Russie bolcheviste et l'Allemagne spartakiste, la constitution d'une Pologne indépendante eût été impossible, et le général Weygand aurait tenté en vain de s'opposer, sous les murs de Varsovie, à l'offensive de Tukatchevsky. Combien le cours des événements en Europe Centrale eût été différent !
(p. 324-325)
L'unité roumaine n'a pas attendu, pour exister, de recevoir une couronne consacrée à Rome ou à Byzance. L'on peut dire qu'une configuration naturelle, ou, si l'on préfère les termes de Bossuet, la volonté même de la Providence, a posé sur le fond du peuple roumain la seule couronne dont il revendique la possession : celle de ses montagnes, Corona Montium, qui entoure de ses murs crénelés l'antique Dacie et que mentionnent les plus anciennes descriptions de cette terre, sur laquelle devait se dérouler les fastes de son histoire.
Celle-ci est plus qu'autre part, si l'on n'en veut considérer que les traits essentiels, un phénomène de conscience collective. Les fortes individualités ne lui se font certes pas défaut, mais elles se détachent de l'ensemble, aux temps modernes, dans la mesure où elles représentent la tendance, d'abord instinctive, puis toujours plus consciente vers l'unité, qui est donc assurée de pouvoir durer, autant que cette conscience restera vivante dans l'esprit du peuple roumain et de ses dirigeants. C'est de ce facteur spirituel, qui a marqué de son empreinte les réalités ethniques et linguistiques dont il est devenu l'expression, que dépend l'avenir, plus que du jeu incertain et hasardeux des événements et des circonstances.
(p. 334-335)
L'unité roumaine, comprise dans les limites naturelles que lui ont tracées au cours des siècles, les conditions géographiques et le sens de sa mission aux limites de l'Europe, est une réalité que les vicissitudes politiques ont pu sans doute obscurcir à certains moments, mais qui demeure entière, comme l'un des fondements nécessaires de la paix, de tout ordre européen juste et durable.
(p. 337)
1 décembre 1918 : La grande assemblé des Roumains de Transylvanie et de Hongrie proclame l'union avec la Roumanie.