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Citation de Dorian_Brumerive


Ma cousine Jeanne avait treize ans, j'en avais douze. On dit que chaque chose vient à son heure : cependant, en ce qui concerne nos sentiments, il en est quelques uns qui se révèlent longtemps avant que le timbre de l'horloge ait sonné. J'aurais été incapable de dire pourquoi je préférais Jeanne à tous mes autres cousins et cousines. L'émotion que je ressentais lorsque mon regard rencontrait le sien, que sa main touchait la mienne, qu'une boucle de ses longs cheveux bruns, soulevée par le vent, venait me caresser le visage, restait pour moi aussi ténébreuse que la langue hébraïque, et cependant il était clair que l'affection que j'éprouvais pour elle ne ressemblait pas à l'amitié que je portais à mes petits camarades des deux sexes.
Comme je l'ai donné à entendre, Jeanne me traitait un peu en petit garçon. Vous le savez, il n'y a point de petites filles, il n'y a que des petites femmes. Celle-là avait déjà soulevé un coin du rideau bienfaisant qui protège l'enfance, entrevu un coin des réalités de la vie par cette échappée. Elle appréciait avec une maturité prématurée la distance que mettaient entre elle et moi les douze malheureux mois qui séparaient les dates de nos naissances. (...)
Comme nous en avions l'habitude, nous quittâmes la table en emportant notre dessert pour aller le manger dans le jardin. C'était un petit parc de sept à huit hectares, qui embrassait une colline couverte de bois, à laquelle la maison était appuyée, et une petite prairie qui faisait face à l'habitation. Ce qu'il avait de plus remarquable était une allée d'énormes marronniers dont, en ce moment, les feuilles commençaient à émerger de leurs gaines d'un brun vernissé.
C'était une de ces tièdes journées d'avril où le soleil sanctionne le renouveau; il semblait, aux rayons d'or qui frissonnaient sur les branches et sur la prairie, que l'on voyait la vallée encore morne et dépouillée sortir de son engourdissement et revenir à la vie.
- Mon Dieu ! Que c'est donc beau d'avoir des arbres autour de soi, au lieu de maisons ! s'écria Jeanne. Je vais joliment m'en donner aujourd'hui, mon petit Georges.
J'étais déjà légèrement désappointé du peu d'effet que l'importante addition qui s'était opérée dans ma toilette avait produit sur ma cousine; la qualification qu'elle ajoutait à mon nom ajouta à la mortification que j'éprouvais.
- Tu n'as donc pas remarqué qu'il y avait quelque chose de changé dans ma personne ? lui répondis-je avec un accent légèrement piqué.
- Quoi donc ! Est-ce qu'il te serait poussé des moustaches, par hasard ?
Comme elle m'examinait avec attention, je relevai les deux jambes de mon pantalon jusqu'au-dessus de des genoux; mais au lieu de l'explosion d'admiration sur laquelle j'avais compté, mon espiègle cousine éclata du plus frais, du plus argentin de tous les rires.
- Oh ! Le Chat Botté ! s'écria-t-elle, que tu es donc drôle comme ça, petit Georges; je dirai à ma tante de faire faire ton portrait.
- Dame, repris-je avec une humeur croissante, puisque j'apprends à monter à cheval, il me semble que je ne peux pas faire autrement que de mettre des bottes.
- Chausse-toi comme l'Ogre, quand tu vas au manège, mais mets de bons souliers pour courir avec moi dans les champs. Je suis venue ici avec l'intention de te faire faire du chemin, d'abord, et avec tes bottes, jamais tu ne pourras me suivre. Tiens, essaye donc de m'attraper.
Elle était partie, légère et rapide comme un oiseau, et je m'étais mis à sa poursuite, surmontant mes angoisses; mais hélas, malgré mes efforts, je voyais à chacun de mes pas s'élargir la distance qui me séparait de Jeanne. Si je parvins à la rejoindre, ce fut parce qu'elle s'arrêta devant la grille, et encore, je dois l'avouer, les élancements de mes extrémités inférieures étaient devenues si aigues, que j'eus la lâcheté de modérer mon allure, aussitôt que je la vis immobile.
- Quand je te disais, mon petit Georges, que tu ne saurais plus courir avec ces imbéciles de tuyaux de cuir que tu as fourrés à tes jambes. Te voilà à peu près aussi leste qu'un hanneton qui a un fil à la patte. Ne t'entête donc pas à faire l'homme par les pieds, ça sera bon quand tu auras passé l'âge de jouer.
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