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Critiques de Gaston Bouthoul (3)
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Traité de polémologie : Sociologie des guerres

Ouvrage à lire absolument pour mieux comprendre les racines et les ressorts des conflits d'hier, d'aujourd'hui et, vraisemblablement, ceux de demain. La profondeur de la pensée fait ce de ce livre un pilier de la réflexion notamment stratégique et militaire.
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La guerre

Pourquoi la guerre ? Certaines personnes ont dédié leur vie à se poser cette question. Ainsi, Gaston Bouthoul fonde en 1945 la « polémologie », l'étude scientifique de la guerre. Car si nous comprenons les causes de la guerre, nous pouvons espérer savoir comment obtenir la paix.  



Voici mes notes de lecture. Vous trouverez après celles-ci mon avis général sur cet essai.



Introduction

L'auteur rappelle que les grands tournants historiques arrivent avec les guerres.

Le droit international actuel, qui tente d'éviter les guerres, rappelle de beaucoup le droit féodal : « l'arbitrage des querelles par des pairs comme dans les Cours de Barons » (p8).



Chapitre 1 : Histoire de l'idée de la guerre

Dans les panthéons polythéistes les dieux se partagent divers attributs. Les divinités de la guerre sont très représentées et très louées dans toutes les grandes civilisations. Il existe notamment de nombreux rites de préparation de la mort des soldats avant la bataille.

Dans l'Ancien Testament : « Il est frappant de constater que, lorsque naquit le monothéisme, d'entre tous les attributs possible [...] on conféra de préférence au Dieu unique des attributs guerriers : il fut le "dieu des Armées". » Et l'auteur cite le Deutéronome (7-8-9) : « Ne sois point effrayé, l'Éternel est au milieu de vous. L'Éternel ton Dieu chassera peu à peu ces nations loin de ta face... il les mettra complètement en déroute et fera disparaître leur nom de dessous les cieux ».

De même, dans le Coran, le Jihad ou « guerre sacrée » est un devoir religieux (Sourate 9, verset 29).

Selon l'auteur, le christiannisme primitif est une exception, avec son attitude à maudire et rejeter en bloc la guerre. Mais l'accès de l'Église au pouvoir l'a obligée à une théologie de compromis puisée chez Saint Paul (toujours lui...). Le droit chrétien a eu beaucoup de mal à justifier ses contradictions.



Faisons maintenant un tour des courants philosophiques.

Confucius (-551 - -479) dit qu'un général doit détester la guerre.

Machiavel (1469-1527) considère qu'une guerre est juste si elle est nécessaire.

Kant (1724-1804) idéalise la paix perpétuelle.

Hegel (1770-1831) est un grand admirateur de Napoléon.

Un certain Joseph de Maistre (1753-1821) justifie la guerre avec un raisonnement circulaire : on a toujours fait la guerre donc c'est le but de l'humanité de faire la guerre, dont on doit faire la guerre... Évidemment, avec du lyrisme et des emphases cela sonne mieux, mais ça n'est pas beaucoup plus intelligent.

Pour Marx (1818-1883), la guerre est une diversion politique pour que la classe inférieure ne veuille pas à renverser la classe dirigeante.

Nietzsche (1844-1900) se perd dans un lyrisme ambigu qui sera mal compris aussi bien par les pro- que par les anti-guerre...



Les courants sociologiques dits « optimistes » (le marxisme notamment) pensent que la guerre est « le produit d'une structure sociale dont il y a lieu d'espérer et de prévoir qu'elle sera un jour dépassée ».

Les « pessimistes » cités par l'auteur ont plutôt l'air de trouver que la guerre c'est génial et tout à fait souhaitable, en invoquant au passage l'idéologie du darwinisme social à grand renforts d'Hegel et de Nietzsche.





Chapitre 2 : Délimitation et définition du phénomène-guerre

Les limites sont floues entre le droit privé, c'est-à-dire ce qui concerne quelques individus ayant un pouvoir militaire ; et la politique, les intérêts du groupe/nation/peuple/sujets...

La guerre est une forme de contrat. Il existe des conventions (ex: codes d'honneur, Convention de Genève...).



Chaque sociologue a sa propre délimitation du phénomène-guerre, l'auteur propose donc la sienne : « la guerre est une lutte armée et sanglante entre groupements organisés ».





Chapitre 3 : Caractéristiques économiques des guerres

Le manque de ressources conduit à des razzias, typiquement un pays pauvre attaque un pays riche pour ses ressources. Ce phénomène peut apparaître même avec un niveau de civilisation très rudimentaire.

Les guerres quant à elles nécessitent une certaine stabilité et une abondance en ressources pour armer, approvisionner et envoyer des combattants.

Selon les observations de l'auteur, l'excès de ressources (métallurgie, force de travail sans emploi nécessaire, marchandises en surplus à exporter mais sans avoir d'accès à la mer, grande stabilité poussant au colonialisme...) conduit à la volonté d'expension.



Les crises économiques (périodiques depuis le XVIIIème siècle) réunissent les conditions propices à la guerre. La conjoncture de guerre est la consommation rapide des biens accumulés, alors que les industries continuent à travailler au maximum de leurs capacités. Il y a alors un choix : laisser rouiller une partie du potentiel industriel, ou lancer un programme d'armement.



L'auteur explique que les espèces vivantes fonctionnent par une lente accumulation de ressources conduisant à un relâchement en explosion (ex : aliments absorbés et stockés puis brûlés pour permettre le mouvement ; naissance...), et les sociétés humaines se comporteraient similairement, avec une accumulation de ressources matérielles et humaines consommées par la guerre.

Je ne suis pas convaincue par son analogie, car ce qui est vrai à une échelle micro n'est pas nécessairement vraie à une échelle macro. Mais la question se pose effectivement : À quel point les groupes sociaux (villages, pays, empires...) ont un comportement s'approchant de celui des individus qui le constituent ?



Il y a une corrélation entre une forte démographie et le déclanchement de guerres.

Le XIXème siècle est un siècle relativement plus pacifique pour l'Europe, et cela peut s'expliquer par  la forte émigration des hommes jeunes vers l'Amérique.

La vaccination Jennerienne et les premiers progrès médecine a fait quadrupler la population blanche entre 1800 et 1969 (date d'écriture de ce livre). Il est possible qu'il ne s'agisse que de coïncidences, mais c'est aussi là que se sont perpétrées les plus grandes tueries entre blancs : guerres de la Révolution puis de l'Empire, guerre de Sécession, guerres civiles russe et espagnole, guerres de 1914 et 1940.

« La surpopulation ou les déséquilibres démo-économiques ne poussent pas nécessairement à la guerre. Ils tendent simplement à mettre en jeu des institutions destructrices dont la guerre n'est qu'un cas particulier. Jusqu'à présent, à travers l'histoire, on voit prévaloir tour à tour suivant les civilisations, les pays et les époques, deux tendances principales : la première consiste à aggraver sciemment la mortalité infantile par l'infanticide ou la négligence. La seconde consiste à protéger et à choyer les enfants, mais à les diriger plus tard vers la guerre, véritable infanticide différé. » (p63)

Il me manquerait davantage d'exemples sur le point où la mortalité infantile est agravée « sciemment » par une volonté étatique. 



« Tout se passe comme s'il existait une relation d'équilibre et de compensation entre d'une part l'ensemble des institutions destructrices et, d'autre part, le rôle démographique de la guerre : lorsque la mortalité infantile, les famines, la misère, etc., font relativement moins de victimes, les guerres en font en général davantage. » (p62)



Chapitre 5 : Caractéristiques ethnologiques de la guerre

Le retour de guerre est une fête dans beaucoup de civilisations. C'est pour ces occasions que sont créés les costumes les plus magnifiques.

La guerre arrache l'homme à la vie de tous les jours, elle a un côté distrayant, qui change radicalement du quotidien. C'est pourquoi, « Certains, dont M. A. Huxley et surtour M. Lewis Mumford, sont d'avis que pour ces raisons psychologiques, à mesure que notre société deviendra mécanisée et dominée par la technique, l'esprit de guerre s'y développera. » (p68-69)



« On peut penser, d'après ce qui s'est passé en Allemagne, que cette motivation est particulièrement puissante dans les pays soumis à un régime autoritaire. Celui-ci, en imposant les luttes politiques, les controverses religieuses, philosophiques et littéraires, en assujettissant les citoyens au travail forcé et à une morne discipline policière, met fin à tout imprévu et à toute fantaisie dans l'existence. Consciemment ou non les citoyens n'espèrent plus, pour se distraire vraiment, pour rompre le cercle de la monotonie psychologique et introduire de l'imprévu dans les destinées, que dans la guerre. »

Mais même dans les démocraties, la guerre est un moment où le pouvoir peut demander une obéissance à ses citoyens devenus sujets.



« De nos jours on constate que sous l'influence du nationalisme la plupart des peuples ont tendance à adopter des sortes de religions nationales centrées sur le culte des combattants morts à la guerre étrangère ou civile. » (p71)





Chapitre 6 : Les traits psychologiques de la guerre

On observe une corrélation entre frustration et agressivité. M. K. Levin a notamment trouvé une corrélation statistique entre le prix du coton et le nombre de lynchages.

Cette frustration n'est toutefois pas toujours légitime, ou même rationnelle : « Toute une nation peut s'estimer frustrée parce qu'il lui manque le Saint-Graal ou qu'elle veut occuper les Lieux Saints. Elle peut se convaincre également qu'il lui est insupportable de n'avoir pas un débouché sur telle mer ou de ne pas posséder de puits de pétrole. Elle peut également ne plus pouvoir tolérer que ses voisins aient des institutions ou des croyances différentes des siennes. » (p75-76)

On trouve aussi des « phénomènes de compensation » : certains peuples se sentent moins civilisés ou moins riches que leurs voisins, et par compensation ils développent leur force brutale.



« L'impulsion belliqueuse peut parfois trouver son fondement également dans le sentiment de l'insécurité, dominant dans le monde contemporain. Il peut conduire des individus à préférer la réalité de la catastrophe à une appréhension constante. » (p77)



La guerre peut être analysé comme un phénomène religieux : la guerre sacralise la figure du chef et les soldats meurent en son nom (p84).



Après la guerre, il y a un sentiment d'infériorité chez les vaincus. Cela peut conduire à la désignation de boucs émissaires et à des sacrifices pour purifier les survivants.



Il existe différents états d'esprit pacifistes (p92) :

« Pacifisme plaintif » : rappeler aux hommes les horreurs de la guerre (l'auteur tourne en ridicule cet état d'esprit)

Pacifisme modéré : moraliser la guerre plutôt que l'éviter.

Pacifisme belliqueux : faire la guerre avec comme but annoncé de créer la paix. Ex : la propagande en 1914-18 avec « la Der des Der » ; ou Napoléon qui voulait instaurer la paix universelle grâce à un État Unique.

Pacifisme irrévérencieux : désacraliser et tourner en ridicule la guerre et ses acteurs.





Chapitre 7 : Causes attribuées à la guerre et plans de paix

Si l'on connaît ce qui cause les guerres, on peut travailler en amont sur des plans pour empêcher ces causes d'être réunies, et ainsi éviter plus efficacement les guerres.



D'après M. Reves, « La poussée vers la sécurité est la principale cause de l'impérialisme. »

On peut donc envisager un plan fondé sur l'équilibre : partager le monde entre États de force équivalente et qui pourraient ainsi se tenir mutuellement en respect grâce à un jeu d'accords, d'alliances et de coalitions (p103).



Les plans de désarmement déjà réalisés n'ont jamais bien fonctionné. On a par  exemple un pape ayant interdit les arcs et les flèches... puis les arbalètes.

Et même : « C'est le canon et en général le progrès des armes à feu qui mit fin aux invasions des mongols et des tatars. » (p120)

La logique opposée a aussi été tentée, à savoir l'armement en armes de destruction massive afin d'empêcher la guerre : l'équilibre de la terreur.



Qu'il soit démocratique ou dictatorial, monarchique ou présidentiel, le type de régime ne semble pas être une cause menant à des guerres. « En vérité, pour l'observateur impartial, il est impossible de faire l'apologie des vertus pacifiques d'aucun régime politique. » (p105)

[Ci-gît mon commentaire exprimant mon désaccord profond avec cette citation, violemment tué par le souvenir qu'Hitler a accédé tout à fait légalement au pouvoir dans un état alors démocratique ; et plus récemment, les nombreuses guerres menées par les États-Unis.]



L'une des causes nécessaires à la guerre, comme dit précédemment, est la surpopulation. Un plan de régulation démographique pourrait donc diminuer le nombre de guerres. On pourrait presque parler de « désarmement démographique ».



Et enfin, les plans dits « hédonistes » s'axent sur l'éducation, la religion et les distractions.

« Certains ont noté que l'esprit guerrier se développait dans nos civilisations à mesure que le sens de la fête périodique et unanime, comme l'étaient les anciennes fêtes religieuses, les bacchanales, le Carnaval, les Jeux Olympiques, les grands Pèlerinages, etc., s'affaiblissait. Ils proposent différentes mesures pour les remplacer sur le plan des distractions : organisations de vacances, de tourisme, excursions, fêtes, congrès, manifestations culturelles, sportives, et même facilités des mœurs destinées, elles aussi, à distraire et surtout « désenrager » les individus. » (p115)



« La guerre est une sorte d'épidémie sociale : pour pouvoir songer sérieusement à l'avenement d'un pacifisme scientifique, il nous faut d'abord arriver à la connaissance objective du « phénomène-guerre ». (p125)







Voici maintenant mon avis personnel.



Ce livre me semble par moments assez obsolète. Non pas car il ne prend pas en compte des événements récents, mais parce qu'il analyse les anciens avec des grilles de lecture qui ont depuis été considérées peu pertinentes. Notamment la psychanalyse (pseudoscientifique) et la désignation de peuples en fonction des « races » humaines.

Il y a donc ces deux aspects qui m'ont parfois un peu dérangée, en plus des quelques points de désaccord que j'impute totalement à mon manque de connaissances.



En dehors de cela, je ne peux que saluer la limpidité et la pédagogie de cet essai concis et bien organisé.

Ce n'était certainement pas une démarche évidente de désacraliser ainsi la guerre en la disséquant aussi méthodiquement.

Ce livre m'a aidée à prendre du recul et à comprendre comment nous retournons toujours aux horreurs de la guerre malgré nos promesses. En la considérant comme conséquence d'une simple suite de cause à effet, chaque maillon étant d'une logique triviale, cela devient beaucoup plus concevable.



C'était intéressant de commencer avec un ouvrage du fondateur de cette science, pour voir d'où elle est partie et comment elle a évolué avec le temps. Pour approfondir, je pense lire plus tard :

Traité de Polémologie : Sociologie des guerres de Gaston Bouthoul, qui développe beaucoup plus en profondeur ces notions ;

La guerre de Bruno Tertrais de la même collection « Que sais-je ? » qui actualise avec des recherches plus récentes, puisque publié en 2014 ;

et Héritage et actualité de la polémologie de Myriam Klinger qui parle aussi des stratégies de gestion de crise.
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Le phénomène-guerre

le polémologue pommo d'oro
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