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Citation de art-bsurde


Hitler respecta sa promesse de ne pas se contenter de diatribes antisémites, lesquelles devinrent de plus en plus extrémistes et de plus en plus centrales dans son programme. On a considéré que cette évolution prouvait la nature psychopathique du mouvement nazi - pas seulement chez Hitler, mais également chez ses partisans. Ainsi, un homme comme Julius Streicher reçut toute liberté pour traduire ses névroses et ses frustrations sexuelles par son obsession des Juifs. On en vit d'autres qui, animés de sentiments de haine primaire, cédèrent à la pression sociale et les dirigèrent contre les Juifs. Bien évidemment, pour une grande part, de profonds désordres psychologiques étaient à la base des manifestations de loyauté à l'égard du parti. Ces désordres étaient réels et plutôt pernicieux, mais ils n'expliquent pas les excès du parti et la mise en oeuvre des programmes antijuifs. Bien que l'attrait exercé par le nazisme ait fort bien pu s'expliquer par la libération de pulsions primitives satisfaites par la haine institutionnalisée des Juifs, cela ne constitue en aucune façon la raison première du succès remporté par le parti. Considérer d'un point de vue psychologique la dynamique antisémite du parti peut fournir des indices dans des cas particuliers - ou dans tout les cas, si l'on part du principe que toute les actions des hommes se prêtent à une explication psychologique -, mais on se trompe en considérant qu'il s'agit de la seule ou de la principale réponse, parce qu'on tend à ne voir dans le national-socialisme qu'une simple aberration résolvant une crise temporaire particulière. Ce serait soutenir, qui plus est, que l'antisémitisme aurait pu être éliminé en réorientant les impulsions psychiques de la population inadaptée de l'Allemagne. L'interprétation psychologique pêche également par une insuffisance bien plus grave : elle nie la nature endémique de l'antisémitisme pour ne le considérer que comme un phénomène transitoire répondant à certains besoin psychologiques qui auraient pu être satisfaits par d'autres minorité émissaire si les Juifs n'avaient pas existé.
Nous contestons le bien fondé de cette approche. Elle occulte le caractère historique, social et idéologique de l'antisémitisme qui, en tant qu'élément du mouvement volkisch, avait été institutionnalisé et avait fourni à de nombreux allemands une grille de lecture du monde et de la place de l'homme dans ce monde. L'immense popularité dont bénéficièrent sans discontinuer les œuvres littéraires que nous avons analysées, les modes de pensée affichés par les peintres et par la jeunesse, tout cela témoigne du fait que l'antisémitisme ne dépendait pas d'une crise passagère, mais imprégnait toutes les questions nationales. L'idéologie volkisch ne peut donc être considérée comme un phénomène transitoire : ce fut une nouvelle religion dont les origines, comme celles de toutes religions et confessions, non seulement s'introduisirent dans le subconscient de l'homme, mais pénétrèrent de plus en plus profondément pour devenir un mode de vie entièrement nouveau. Ces sentiments finirent par devenir eux-mêmes une tradition aisément acceptable, constituant un témoignage du poids du caractère sacré de l'objectif volkisch. Hitler promit seulement de réaliser une conception de la vie qui avait imprégné une grande partie de la nation bien avant qu'il n'entre en scène.
Le fait que l'attrait exercé par l'antisémitisme était déjà largement répandu, et ne dépendait pas des aspects psychopathes de tel ou tel pour être accepté, est illustré par la façon dont le Juif était représenté. Alors que l'image du Juif en tant qu'individu aurait pu satisfaire les frustrations d'une personne mentalement dérangée, cette "individualisation" n'aurait pas permit d'atteindre l'objectif souhaité dans une idéologie politique. Pour que le Juif, par son image, suscite un sentiment quelconque, il devait être rendu abstrait et dépersonnalisé. Il est toujours possible qu'un cas personnel contredise une affirmation générale en fournissant une preuve concrète, vivante du contraire. Pour que les Juifs deviennent le repoussoir d'un mouvement de masse, il fallait les transformer en symbole afin de les rendre différent des êtres humains. L'agitation de masse nécessitait de surcroît simplicité et cohérence, ce qui ne s'accommodait pas de distinctions subtiles susceptibles d'exclure certains Juifs de la condamnation. Hitler suivit la voie de ses précurseurs volkisch en présentant le mal juif non pas sous des aspects relevant de la nature humaines, mais comme un stéréotype abstrait.
L'abstraction de plus en plus marqué du Juif reflétait le processus de dépersonnalisation. Dès lors qu'on avait nié qu'il fut pourvu d'une âme et de véritables émotions, dès lors qu'on avait catalogué sa religion comme une foi fossile dépourvue de contenu éthique, le Juif était quasi déshumanisé. Qui pourrait ressentir de la peine ou de la commisération pour un être dépouillé de toute dimension humaine? Du moment que la population avait accepté cette description du Juif, il était possible de le considérer comme un moins que rien, une silhouette ne suscitant aucune compassion humaine - seul le nombre impressionnant de Juifs morts en martyrs allait, dans les années à venir, ébranler l'imagination.
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