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Critiques de Georges Lamoine (3)
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Le conte du tonneau

"Rien n'est constant dans ce monde que l'inconstance."

(J. Swift)



Ecole de la satire pétillante ! Si Raphaël voulait refaire son "Parnasse" en version "18ème siècle", il aurait probablement représenté Swift comme un gnome farouche armé d'un fouet, qui frappe avec une cadence cruelle sur tout et tout le monde autour de lui. Mais ces coups de fouet ne sont pas mesquins - pas tout à fait - ils sont avant tout bougrement drôles.

Le bien nommé Swift se moque d'abord de tous les cultes chrétiens; disons, surtout des catholiques et des calvinistes, en épargnant avec une certaine pudeur les anglicans et les luthériens, qui ne prennent qu'un coup sporadique par-ci, par-là. Il n'épargne pas non plus le "savoir moderne", les sciences (y compris l'ésotérisme et l'occultisme), la Royal Society et certains de ses "savants" avec leur art de discourir pompeusement sur rien. Mais aussi la littérature, la censure, les passions humaines et la société tout court.



Tout ce que Swift a écrit sont des textes satiriques de haut vol, mais "Le conte du tonneau" est d'un envol presque vertigineux. Pour utiliser une charmante expression tchèque, Jonathan Swift possède une capacité de "transformer le pet en boulette", et dans le cas de ce pamphlet, il nous a roulé une sacrée boule ! S'il était un bousier (je sais bien qu'il ne l'était pas, mais essayez au moins d'imaginer qu'il l'était !), il aurait du mal à la pousser devant lui, tellement cette boule serait fabuleusement géante !



Et de quoi nous parle donc cet appréciable fascicule ?

C'est déjà un peu plus difficile...

En tout cas, si vous déduisez du titre qu'il s'agit d'un discours sur un tonneau, vous vous trompez royalement; ce n'est absolument pas le cas. du tout. Cela prouve d'emblée l'imperturbable et hautaine impertinence de Swift. On va croiser ce tonneau uniquement dans une brève remarque qui dit que c'est un bon moyen pour détourner l'attention d'une baleine, si les marins ne veulent pas être attaqués par ce géant des mers. Evidemment c'est encore une allégorie roublarde, comme presque chaque phrase de ce livret. de plus, avant de lire "Le conte", j'avais toujours imaginé que ça doit parler de la vente des carpes de Noël en Bohême, ces carpes vivantes qu'on va choisir dans un tonneau au marché, quelques jours avant les fêtes. Je pourrais longuement discourir sur ces carpes, mais revenons au sujet...



Tout le premier tiers de l'ouvrage consiste en toutes sortes de différentes préfaces, introductions et dédicaces, ce qui est déjà un signe manifeste que vous tenez entre vos mains de la grande littérature. Ha ! Si vous n'aimez pas toutes sortes de préfaces, introductions et dédicaces, vous n'aimerez probablement pas le reste non plus, mais je serais étonnée que des gens aussi moralement diminués puissent exister dans ce bas monde. Ne pas aimer les préfaces, introductions et dédicaces ! Imaginez donc !

Dans les deux tiers restants, Swift développe majoritairement une allégorie sur trois frères et leurs trois manteaux respectifs légués par leur père mourant : un article vestimentaire qu'ils vont s'empresser de transformer, chacun à sa façon. Et pendant que les frères transforment, Swift se lance avec bonheur dans l'art de la digression, et nous bombarde de thèmes divers qui n'ont absolument rien à voir avec le travail acharné de nos trois stylistes.



Mais un peu de sérieux. Dans un pamphlet sur les excès religieux, les trois frères ne sont pas difficiles à identifier : Pierre (catholique), Jean (calviniste) et Martin (luthérien), et ce manteau qui va se transformer dans les mains de chacun n'a pas besoin d'explication non plus. En ce qui concerne les nombreux détours, appelés clairement "digressions" (y compris l'excellente "Digression à l'éloge de la digression"), Swift, un partisan des "Anciens", dissèque (parfois littéralement, dans la partie sur la médecine) l'esprit de son époque et les changements qu'elle est en train de subir. Il tourne en dérision les contradictions entre "être" et "paraître", le culot des uns et la crédulité des autres, en nous servant un plat hautement digeste et bien épicé.

Le titre anglais "A Tale of a Tub" fait référence à la pièce de Ben Jonson, et il désigne aussi ce qu'on appelait à l'époque les Cock-and-Bull Stories, autrement dit des histoires sans queue ni tête, qui sautent du coq à l'âne. Alors même le titre s'intègre parfaitement à cette parodie, qui se moque de digressions savantes par des digressions encore plus savantes.



5/5 très subjectifs, car je ne sais pas si j'oserais recommander cette lecture peu recommandable; cela dépend si vous êtes sensible au beau langage tordu du 18ème, et à ce côté "grand canular". "Le conte du tonneau, contenant tout ce que les arts et les sciences ont de plus sublime & de plus mystérieux ; avec plusieurs autres pièces très curieuses" (titre complet) était extrêmement populaire à sa sortie (1704) chez les "Anglois", qui ont sans doute apprécié l'humour bien "british" de ce sarcastique Irlandais en perruque.
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Le conte du tonneau

Publié pour la première fois en 1704, le texte connaît sa version définitive en 1710. Swift a une trentaine d’années lorsqu’il compose l’ouvrage, on peut donc le considérer comme une œuvre de jeunesse, et il est bien évidemment bien moins connu que Les voyages de Gulliver. Le livre paraît d’abord sous couvert d’anonymat, et il va déclencher des réactions très violentes, l’auteur a même été taxé de blasphème par certains. Il a contribué à empêcher Swift d’obtenir les fonctions épiscopales auxquelles il aspirait. Il est très composite et complexe à interpréter, mais par moments terriblement drôle, ce qui a mon avis lui permet de susciter un l’intérêt encore de nos jours.



Le texte se place dans le vaste débat que l’on a appelé la querelles des Modernes et des Anciens, Swift prenant place dans les rangs des défenseurs des Anciens. Mais il le fait d’une manière dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est iconoclaste, et en y joignant une discussion de nature religieuse. Le conte du tonneau désigne en anglais un récit sans queue ni tête, et c’est un peu ce genre de construction que l’auteur propose à ses lecteurs.



Le texte commence par une « Épître dédicatoire à son Altesse Royale le Prince Postérité » puis une Préface, qui de manière évidente font partie du texte en tant que tel. Puis viennent onze sections, qui composent l’oeuvre, 6 font référence au Conte du titre, et les 5 autres sont des digressions assumées en tant que telles, au point où l’une est un éloge des digressions.



Le conte à proprement parlé suit trois frères, Peter, Martin et Jack, représentant respectivement le catholicisme, l’anglicanisme (Martin Luther), auquel appartenait Swift en tant qu’ecclésiastique, et le protestantisme dissident, puritanisme (Jean Calvin). Leur père leur lègue à sa mort des habits identiques, avec interdiction d’y changer quoi que soit. Mais chacun des trois frères va interpréter différemment l’héritage paternel : Peter va le surcharger d’ornements, Jack le met en pièces, Martin le dépouille de toute décoration superflue. Swift fustige et moque tour à tour la catholicisme, ses dogmes, ses papes, ses richesses, et les puritains, qu’il accuse de dogmatisme et d’extrémisme. Il parcours l’histoire de la religion chrétienne d’une manière non conventionnelle et ironique.



Cette partie du texte est encadrée par les digressions, qui évoquent la fameuse querelle des Anciens et Modernes. Swift fustige tour à tour les critiques littéraires, les éditeurs, les plumitifs en quête du succès à tout prix, la science et les savants, bref toutes les manifestations du savoir, ou de la prétention à ce savoir, de son époque. Et les revendiqués Modernes, qui pensent en savoir bien plus que les Anciens, qu’ils pillent, ou qu’ils réinventent sans même sans rendre compte, en partie par ignorance, en partie par mauvaise foi. Ces préoccupations apparaissent par moments dans la partie consacrée aux trois frères, les deux proses ne sont pas imperméables l’une à l’autre. Les célébrités de son temps en prennent pour leur grade, en particulier Temple, un ardent défenseur des Modernes qu’il démonte impitoyablement, et parmi les auteurs un peu plus connu, Hobbes. Le titre (Le conte du tonneau) pourrait être inspiré par le Léviathan de cet auteur. En effet, est citée une anecdote, dans laquelle les marins menacés par une baleine, auraient l’habitude de lui lancer un tonneau pour distraire l’animal et lui faire oublier le bateau. Le livre de Swift serait donc ce leurre, censé distraire, faire perdre son temps aux monstres modernes.



Là où les choses se compliquent, lorsqu’on veut des interprétations au texte de Swift, c’est qu’il est difficile de distinguer ce qui relève de l’ironie, de la moquerie, de la dénonciation comme on dirait aujourd’hui de ses opinions véritables. Où s’arrête la parodie et où commence la profession de foi ? Difficile de le dire. D’où les multiples et contradictoires lectures faites de l’oeuvre.



Le livre n’est pas forcément simple à lire, du fait de ses multiples références, à la religion, aux personnages célèbres dont la majorité est bien oubliée aujourd’hui, aux événements historiques, au contexte de la controverse des Anciens et des Modernes etc. Mais Swift est très drôle, très caustique, et cet humour reste efficace dans une bonne partie du texte, même pour le lecteur actuel.
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Le conte du tonneau

Pour connaître le sujet et le ton de ce livre, je vous conseille de lire la critique précédente qui le défend brillamment. Pour ma part, ayant été forcée de l'étudier et de le disserter, j'en garde le souvenir d'un ennui abyssal. Beaucoup trop de mots pour une satire des religions qui pourrait tenir en deux pages! Le Conte du tonneau est un document intéressant au plan historique, mais en ce qui me concerne sans plaisir de lecture. Dans le genre satirique swiftien, je préfère sa Modeste proposition, plus courte et percutante, sur le thème de la pauvreté en Irlande.
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