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Critiques de Gérard Dessons (5)
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L'Art Brut : Actualités et enjeux critiques

"L'Art Brut est un apex, une vue algébrique de l'esprit, un pôle vers lequel on tend..."

(J. Dubuffet)



"Vincent... !", s'est fâchée un jour Mme Capt.

"Encore un mot sur l'Art Brut, et tu vas te coucher sans dîner ! Et si vraiment tu as besoin d'en parler, fais-le avec tes amis, mais épargne-moi tes spéculations !"

Et voilà comment a vu le jour ce livre : "L'Art Brut, Actualités et enjeux critiques", qui regroupe les observations de plusieurs spécialistes sur l'évolution de ce courant artistique.

Mais d'abord - l'Art Brut est-il vraiment un "courant artistique" ? Oui et non...



Le sujet m'intéresse, et avant de me lancer dans cette laborieuse lecture, je pensais en savoir l'essentiel. L'appellation nous vient de Jean Dubuffet, qui (en 1945) commence à s'intéresser à la production des autodidactes, des marginaux et des mentalement dérangés qui créent pour leur propre plaisir, souvent poussés par un certain "besoin". Création hors système officiel et académique, à partir du matériel récupéré ou peu coûteux.

Ce n'est pas de "l'art naïf" à l'inspiration folklorique, ni "l'art ethnique" qui est en quelque sorte l'art officiel de telle ou telle ethnie, mais une création spontanée, originale et absolument libre de toutes les contraintes imposées par le diktat de "l'art culturel".

Mais voilà..

Depuis 1945 l'Art Brut (qui existe depuis toujours et qui est jusque là passé inaperçu) a fait son bout de chemin, et le récent engouement qu'il provoque nécessite d'éclaircir et de justifier sa position dans le monde de l'art actuel, et notamment sur le marché (ne tournons pas autour du pot !)

L'introduction de V. Capt, exercice verbal de haute voltige, m'a fait, hélas, réévaluer mes connaissances on ne peut plus brutes sur le sujet, en me laissant seule avec Socrate et son "je sais que je ne sais rien".



L'esprit à l'état brut, j'ai donc abordé le premier chapitre, "Axiologie d'une artification", qui se pose la question essentielle : à quel moment une oeuvre "brute" devient-elle une oeuvre "d'art", exposable et vendable ? Est-ce vraiment de l'Art ? Oui et non...

Peut-on le sortir de son contexte "marginal", sans en altérer la nature ? Oui et non...

Un artiste "brut", désire t-il lui même être connu ? Oui et non...

L'Art Brut peut-il être confondu avec l'Art Contemporain ? Oui et non... etc., etc.

Voilà le problème actuel de l'Art Brut, qui, sorti des hôpitaux psychiatriques et des ateliers miteux des autodidactes est subitement devenu un "produit" difficilement qualifiable, car une fois officiellement présenté au public et soumis aux critères, il va perdre une partie de son essence et de sa "brutalité". On va créer de nouvelles appellations : "Outsider art", "Art singulier", pour le différencier des autres formes qui ne désignent, après tout, qu'une seule et même chose.



Le livre n'est pas inintéressant, mais il tergiverse beaucoup et les phrases sont souvent pleines d'un pompeux rien, car toutes ces questions sont loin d'avoir une réponse claire. L'Art Brut en train de s'officialiser est devenu un peu comme ce mythique serpent Ouroboros qui dévore sa propre queue.

Mais quelques articles restent intéressants (le cas de Gaston Chaissac et les portraits de quelques autres artistes, accompagnés d'illustrations sporadiques), et on peut comprendre la perplexité des galeristes et commissaires d'exposition face à cette production hors-normes.



D'ailleurs, ces expositions originales attirent toujours un nombreux public... Est-ce que cela veut dire que l'Art Brut actuel (y compris virtuel, désormais) est en train de s'"institutionnaliser" ? La réponse est encore oui et non; et même l'un des derniers chapitres, qui s'interroge s'il vaut mieux exposer ces oeuvres dans une salle entièrement noire ou entièrement blanche reste indécis.



Je remercie donc les éditions Antipodes de m'avoir adressé ce livre lors de la dernière masse critique, en me posant la dernière question : le livre m'a t-il vraiment apporté quelque chose de plus que l'addiction à l'aspirine et la tête remplie de questions ?

Oui et non. Donc 2,5/5.

Peut-être un conseil : si vous avez envie de créer, faites ! Même un autodidacte peut devenir un artiste honnête en pratiquant, mais pas un "artiste brut". Lui, il est né tel quel, avec son étrange génie. Mais peu importe, car vous serez toujours l'un ou l'autre, et c'est ça qui est bien !
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L'Art Brut : Actualités et enjeux critiques

Pour être claire dès le départ, il ne s'agit pas là d'un livre conçu pour faire découvrir l'Art Brut et présenter le concept ainsi que son histoire (oui, du coup, ça fait pas envie, dit comme ça). C'est précisé en avant-propos, on a là un ouvrage destiné à un public déjà averti, et si j'ai bien saisi, à un ouvrage qui cherche surtout à susciter des vocations, et s'adresse donc essentiellement à de futurs chercheurs. Par conséquent, si vous avez envie de lire quelque chose pour aller à la découverte de l'Art Brut, ce n'est pas le livre qu'il vous faut - il y a pour ça d'autres publications parfaitement adaptées à votre projet. Si, en revanche, vous n'êtes pas du tout chercheur, confirmé ou potentiel, mais que vous êtes amateur d'Art Brut, ou que vous vous intéressez à l'Art Brut sans être spécialiste de la question, vous pouvez y aller sans crainte. Je préfère mettre les choses au point, de peur que des lecteurs novices en Art Brut mais curieux (et c'est une bonne chose d'être curieux, contrairement à ce qu'on nous disait quand on était petits) ne s'engagent dans cette lecture et soient carrément rebutés par ce qu'ils y trouveront, car on y fait référence à des tas de choses et à des tas de gens que le lecteur est censé connaître ; il va de soi pour les auteurs que ce lecteur est déjà relativement coutumier de l'Art Brut. Songez donc au fait que le premier essai s'intitule "L'Art Brut : Axiologie d'une artification" et vous comprendrez peut-être mieux pourquoi je mets en garde le lecteur innocent et curieux qui s'aventurerait dans ce livre le sourire aux lèvres.





On a donc ici une publication de 2017, faisant suite à un colloque, composé de douze essais, plus une table ronde rapportée par écrit et un texte de Laurent Danchin, tout ça en à peu près 200 pages. Ce qui signifie que chaque essai comprend une douzaine de pages. Et douze pages, c'est court, surtout quand on a affaire à un sujet aussi brûlant que l'Art Brut, en vogue depuis quelques années au point que se développent hardiment les recherches mais aussi des galeries spécialisées et des musées, que les expositions se multiplient, ainsi que des festivals, biennales et autres trucs du genre, et qu'apparaissent de plus en plus d'artistes (on les appelle les "apparentés") se réclamant, sinon de l'Art Brut, du moins de l'art singulier, outsider, hors normes, etc. (les appellations, elles aussi, sont multiples, même si ce n'est pas une nouveauté ), tandis que, forcément, les prix des œuvres grimpent.





Le but de ce livre, c'est d'aborder des questions qui se posent actuellement dans le monde de l'Art Brut, et notamment celles de la "légitimité" de l'Art Brut, mais aussi de son utilité critique vis-à-vis de l'art. Je rappelle que, en effet, Jean Dubuffet, l'inventeur en 1945 de la notion d'Art Brut, était un rien ulcéré par ce qu'il appelait l'art académique (ce qui désignait à peu près l'art dans son entier, du moment qu'il était estampillé comme tel), et qu'il recherchait dans l'Art Brut un art contestataire (à prendre dans un sens très large), qui ne répondait pas aux critères, selon lui très étriqués et très bourgeois, de l'art. D'où sa définition de l'Art Brut, un art des reclus, des solitaires, des gens rejetés par la société et "indemnes de culture artistique" (dernier point sur lequel il me semble qu'il est revenu en partie au fil des années). Or, depuis Dubuffet et sa définition de l'Art Brut en 1945, sans oublier sa donation à la Ville de Lausanne en 1975, il s'est passé pas mal de choses et, comme il est rappelé dans la table ronde en fin d'ouvrage, on peut considérer que trois générations de chercheurs, mais aussi d'amateurs et de collectionneurs, ont fleuri.





Je vais donc m'attaquer, c'est bien le mot, à cette question des douze pages en moyenne par essai. C'est à mon sens le gros problème de l'ouvrage. le tout premier est signé Nathalie Heinich, sociologue à qui les autres auteurs du livre font beaucoup référence. Elle a travaillé sur l'art et sa réception, et sur le "passage à l'art", c'est-à-dire sur ce processus qui transforme un artefact ou tout un type de créations humaines en objet(s) d'art ; l'exemple typique, c'est la peinture : il nous semble aller de soi qu'une huile accrochée au Louvre est forcément de l'art, alors qu'il n'en allait pas forcément ainsi à l'époque de la réalisation de l'oeuvre. L'Art Brut a donc connu le processus appelé par Heinich "artification" : des productions considérées sans valeur, souvent données, abandonnées, voire carrément jetées soit par leurs créateurs eux-mêmes, soit par d'autres, ont acquis au fil du temps, selon certains critères (la fameuse "axiologie"), le statut d'oeuvre d'art. le sujet de l'artification de l'Art Brut est en soi tout à fait passionnant. le problème ici est que Nathalie Heinich passe pas mal de temps à expliquer sa méthode, quitte même à nous prendre un peu pour des idiots ; car oui, nous savons déjà que l'objet d'une étude scientifique doit être de préférence abordé et traité sans préjugés, on est quand même pas bêtes à ce point. Mais il semblerait que Heinich ait des comptes à régler avec Bourdieu, ce qui nous fait perdre du temps. Donc, en fin de compte, quand l'essai commence à devenir vraiment intéressant... eh ben, oh, zut, c'est terminé ! du coup, ça finit par ressembler à de la publicité de Heinich pour Heinich, d'autant qu'elle s'auto-cite énormément. C'est frustrant, et c'est en gros la marque de quasiment tout l'ouvrage.





Je passe vite fait sur l'essai de Pascal Roman concernant les processus psychiques de la création, qui, s'il tente tout de même de nous expliquer vite fait telle et telle notion, a finalement produit un texte destiné uniquement à des titulaires d'un doctorat en psychologie ; Gérard Dessons, dont j'avais juré ne plus lire une seule ligne après une mauvaise expérience, prend lui, pour ainsi dire, le contre-pied de son livre sur Maeterlinck : il est très compréhensible, mais enfonce des portes ouvertes avec beaucoup d'entrain. Car oui, on sait que les artistes dits "bruts" ont été longtemps sous-estimés, malmenés, ostracisés, marginalisés, instrumentalisés, etc., etc. Ce qui ne rend pas la conclusion de l'essai de Dessons logique, à savoir que, sous prétexte que les biographies d'artistes bruts ont été surexploitées pour la présentation de leur œuvres, le discours sur l'Art Brut relèverait de l'analyse littéraire. On exploite dans beaucoup de domaines artistiques (et également hors du champ des arts) les biographies d'auteurs pour l'analyse des œuvres, à tort ou à raison. Donc je ne vois pas bien ce qu'apporte l'essai de notre stylisticien.





Ce qui m'a fait bondir (mais je n'étais malheureusement pas au bout de mes peines), c'est l'essai sur l'Art Brut, les nouvelles technologies et YouTube. Là, il m'a paru clair que Charlotte Laubard ne savait pas très bien de quoi elle parlait. Elle a choisi comme sujet les création de madcatlady, dont elle dit un peu vite qu'elle est un véritable phénomène sur les réseaux sociaux (le nombre de vidéos vues ne va pas vraiment en ce sens, il n'y a qu'à faire un petite comparaison, au hasard, avec les vidéos de Tev - Ici Japon... sans parler des vidéos montrant des chats, hein). Ces créations, clairement non revendiquées comme de l'art par leur auteure, relèvent de la vidéo utilisant des logiciels courants de modélisation 3D facilement utilisables. Tout est bon pour nous faire passer madcatlady, dont on ne sait rien, pour une artiste tellement obsédée par son art qu'elle passe des dizaines d'heures sur chaque vidéo. Seulement les vidéos en question, qui je le redis, sont réalisées à partir de logiciels faciles à utiliser, font pour la plupart une ou deux minutes... Donc il faudrait vraiment ne pas être doué du tout pour en arriver à passer dix heures ou plus sur des vidéos de deux minutes ! Et tout est bon pour affirmer que les vidéos de madcatlady sont, il n'y a pas à tergiverser, de l'Art Brut. Là aussi, c'est tout sauf convaincant. Voilà qui m'a méchamment rappelé Mathilde Manchon, qu'ActuSF avait payée pour écrire un essai sur les lieux chez Lovecraft dans un ouvrage collectif, qui connaissait très mal Lovecraft et avait commis un texte terriblement creux et mauvais. Stop ! Il faut arrêter d'engager des étudiants en Master qui manquent de culture et d'expérience pour leur faire écrire des essais qui n'ont pas d'intérêt pour la publication, c'est pas leur rendre service et c'est pas sympa pour le lecteur. Mais il faut aussi arrêter de payer des universitaires qui n'ont rien à dire (ceci pour faire la balance avec Gérard Dessons).





Si l'essai sur une galerie d'art britannique issue d'un atelier d'art-thérapie en hôpital psychiatrique révèle également un manque d'expérience de Myriam Perrot, on voit tout de même qu'elle est bien renseignée sur son sujet ; mais comme la grande majorité des autres essais dans cet ouvrage, ça ne va pas assez loin, on est toujours frustré. Je ne vais pas tout décortiquer et je range donc à part trois essais beaucoup plus aboutis que les autres à mes yeux : ceux de Céline Delavaux, de Baptiste Brun et de Déborah Couette, tous trois membres du CrAB si je ne m'abuse. Celui de Céline Delavaux tend à démontrer que l'Art Brut, loin de n'être qu'une appellation ou un label, est bien un concept et reste donc tout à fait pertinent comme outil critique sur l'art, tout comme l'art contemporain, hypothèse qu'elle mène en bonne connaisseuse de Dubuffet qu'elle est. Celui de Baptiste Brun aborde la question de l'Art Brut en dehors de l'Occident. C'est un fait que Dubuffet ne présentait pratiquement que des artistes européens, voire nord-américains, via sa collection, ce qui lui a valu d'être accusé de post-colonialisme, entre autres. L'essai montre comme il était compliqué pour Dubuffet de définir ce qui relevait ou pas de son concept d'Art Brut parmi des œuvres de cultures qu'il connaissait mal, mais aussi comment on a pu élargir au fil du temps l'Art Brut à d'autres artistes que ceux d'abord repérés, en toute logique, en Europe, et ce que ça implique. Enfin, mon essai préféré, par Déborah Couette, concerne l'histoire de la scénographie de l'Art Brut. Où l'on voit que Michel Thévoz s'est pas mal contredit sur le sujet, et que si mettre en scène l'Art Brut selon une scénographie savamment pensée n'était pas une préoccupation de Dubuffet, c'est devenu un enjeu qui n'est pas sans conséquences sur la façon d'appréhender les œuvres et les artistes "bruts". Si c'est ce texte de Déborah Couette qui m'a le plus intéressée, c'est qu'il permet, au-delà de l'Art Brut, de réfléchir à la question de la scénographie des expositions et des musées en général.





Mais où est-ce qu'il est question du marché de l'art dans tout ça, hein ? Parce que c'est une question, tout même. Eh bien pas un essai n'y est consacré, si ce n'est plus ou moins celui de Myriam Perrot cité plus haut, à propos des liens entre art-thérapie et galerie dans un hôpital psychiatrique anglais. Mais nous avons bien une table ronde où l'on parle de la façon de présenter l'Art Brut mais aussi du statut économique des œuvres d'Art Brut. Et là, c'est le drame ! On découvre dans toute sa laideur le cynisme de Jean-David Mermod, collectionneur, et James Brett, collectionneur et galeriste. Car l'argent (et donc le prix qu'atteignent les œuvres "brutes") selon eux, on s'en fout, oh la la, quel sujet futile ! Facile à dire quand on est riche ; on n'a pas à se soucier de la notion d'art démocratique, du fait que les musées n'ont pas les moyens de se payer les œuvres que d'autres collectionnent, et on peut se permettre de jouer les grands mécènes en prêtant des œuvres tout en tenant des propos assez infects. Quant à Michel Thévoz et Sarah Lombardi, travaillant avec ces deux personnes, il leur est bien difficile de les contredire.





Cette critique est affreusement longue, j'en ai bien conscience. J'ai bien conscience aussi que l'ouvrage que je critique est destiné à ouvrir des pistes de réflexion plutôt qu'à approfondir en détail les différents sujets abordés. Il vise, je pense, à pousser les lecteurs vers d'autres livres, documents et outils de réflexion. Il n'empêche que ça n'est pas précisé dans la quatrième de couverture, et que ces textes peuvent tout autant susciter la frustration que donner l'envie d'aller plus loin. Pour le coup, il m'a donné envie de lire des essais de Nathalie Heinich et Céline Delavaux ; espérons que ça aura au moins autant d'impact, et même bien davantage, sur les autres lecteurs. Je ne tenterai pas de m'atteler à une thèse sur l'Art Brut pour autant, désolée ! Quoique je puisse changer d'avis si on me paie, futile comme je le suis, ou si on se montre très convaincant, par exemple en me disant que je vais apporter beaucoup à la recherche en me spécialisant en Art Brut, ce qui me semble plus que hautement probable.









Masse critique Non fiction
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Maeterlinck, le théâtre du poème

Voilà comment j'ai, pendant un temps, pensé formuler ma critique : "J'ai rien compris. J'ai même pas compris le titre."





Mais comme j'ai fini par capter deux-trois trucs au final, et, surtout, que j'ai vu dans ce livre sur Maeterlinck une bonne occasion de partager une expérience parfaitement extravagante, j'ai changé d'avis. Rions un peu, donc.





Déjà, il faut que vous sachiez que j'ai vraiment pas de pot avec Maeterlinck. Sérieuse et intelligente comme je suis, je ne voulais pas aborder n'importe comment cet auteur, et encore moins raconter n'importe quoi sur la toute première pièce que j'ai lue de lui, La Princesse Maleine. En fait, je suis à ce jour presque convaincue que j'aurais mieux fait d'écrire une critique de la Princesse Maleine en disant absolument tout ce qui me passait par la tête... Mais reprenons les choses depuis le début. Il y a des mois de ça, je lis quelque part - impossible de retrouver où, mais si je tombe à nouveau sur le nom du type qui a écrit ça, comptez sur moi pour lui faire passer un mauvais quart d'heure - je lis donc en toutes lettres qu'il est complètement inutile de lire une seule ligne de la Princesse Maleine si l'on n'a pas auparavant déjà en tête Axël de Villiers de L'Isle-Adam, sans quoi on ne peut rien capter à la pièce de Maeterlinck. Je ne me souviens plus très bien si j'ai obéi à la lettre, je ne jurerais pas que je n'ai pas lu Maleine avant Axël, mais ce dont je suis sûre, c'est que je me suis tapé les quelques cent pages d'Axël dans le but d'être éclairée sur Maleine. Sur tablette, en plus, ce qui me tue les yeux (mais impossible de faire autrement). Et, ô joie, toute cette détermination n'a strictement servi à rien ! Quelques temps plus tard, seconde tentative de ma part. J'avais acheté l'édition de la Princesse Maleine d'Espace Nord, qui fournit tout un dossier en complément de la pièce. Sauf que, dans le dossier, pour une raison qui m'échappe complètement, l'analyse littéraire se limite à l'identification des sources. Alors bon, d'accord, des sources, il y en a plein. Trop. Au moins quarante mille, au bas mot. Ce qui fait que je n'ai retenu que celles que j'avais déjà repérées et que je n'étais toujours pas plus avancée.





Et donc, là, en consultant le catalogue de la bibliothèque municipale, je tombe sur un titre prometteur : Maeterlinck, le théâtre du poème (oui, c'est le sujet de notre critique d'aujourd'hui, je remarque que vous êtes de fins observateurs). Un essai ! Sur Maeterlinck ! La chance !!! Donc je me précipite dessus, et me voilà plongée dedans quelques semaines plus tard (j'ai certes un peu lambiné). Et là, dès les première pages, patatra. Je ne capte rien. Au début, je me suis dit que j'avais rien lu d'aussi indigeste depuis Sur Racine de Barthes, ce qui remonte tout de même à ma seconde année de fac de Lettres. Et puis, j'ai commencé à repérer des trucs ultra louches, comme des références au duo signifié/signifiant (un des concepts de base de la linguistique générale), à Roman Jakobson (linguiste), à la prosodie (le mot qu'on doit retrouver le plus souvent dans ce livre), à l'écholalie (trouble du langage), à l'amuïssement du "e", aux phonèmes, puis enfin, enfin, à Saussure (fondateur de... la linguistique), et même à Émile Benveniste (linguiste). Un coup d'oeil sur la bibliographie de Gérard Dessons n'a fait que confirmer la triste réalité : j'avais en mains un essai de stylistique (branche de la linguistique, qui sert entre autres à l'analyse littéraire). Ce qui n'était pas, mais alors pas du tout mentionné dans la quatrième de couverture - comme quoi il n'y a pas que pour la fiction qu'on nous compose des quatrièmes de couverture fantaisistes. Or, je hais la stylistique. J'ai détesté mes cours de fac (je détestais la linguistique dans son ensemble ; au bout de quelques années, c'est-à-dire à la toute fin de mon cursus, je me suis rendue compte que c'était parce que je ne bossais pas cette discipline, et qu'en travaillant ça devenait bien plus intéressant), mon prof était nul, ennuyeux, il répétait tout le temps la même blague sur les stylisticiens et les linguistes, et de toute façon j'avais pas besoin d'aller en cours puisqu'il donnait la moyenne à tout le monde à l'épreuve de fin d'année. C'est dire à quel point j'avais envie, en choisissant d'emprunter un essai sur Maeterlinck, de tomber sur un essai de stylistique... J'ai même pas les bases, puisque j'ai raté la plupart de mes cours de fac, qui de plus remontent à plus de vingt-cinq ans. Heureusement, heureusement, j'ai des restes de mes autres cours de linguistique (on se demande bien comment).





Je ne vais pas m'appesantir sur le sujet de ce livre, qui se résume en gros à démontrer que le théâtre de Maeterlinck relève de la poétique et de l'éthique (je soupçonne fort l'auteur d'avoir voulu imiter les inventions langagières de Maeterlinck en choisissant deux termes qui riment), ce qui serait totalement novateur. Je ne vais certainement pas m'aventurer à donner un point de vue sur cette hypothèse, vu que, d'une part, je suis une nullité en stylistique, et que, d'autre part, un essai qui prétend analyser un oeuvre littéraire avec pour seul point d'entrée la stylistique n'a selon moi qu'un intérêt très limité. C'est un peu comme si on analysait tel auteur uniquement d'un point de vue philosophique, ou historique, ou je ne sais quoi d'autre : on se limite forcément à un point de vue très partiel, et par conséquent partial. Que la stylistique soit un outil de l'analyse littéraire, c'est entendu, qu'elle soit le seul outil de l'analyse littéraire, ça ne me paraît pas pertinent.





Mais après tout, on peut toujours considérer que cet essai vient en complément d'autres essais, à l'analyse plus large, sur le théâtre de Maeterlinck. Encore faudrait-il prévenir les lecteurs potentiels, hum, hum, hum. Il y a peut-être plus dérangeant : cet essai est censé analyser ce qu'on appelle "le premier théâtre" de Maeterlinck, c'est-à-dire son théâtre symboliste de la fin du XIXème, qui comprend La Princesse Maleine, L'Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses, Alladine et Palomides, Intérieur, La mort de Tintagiles et, enfin, Pelléas et Mélisande (j'espère n'avoir rien oublié). Or, Gérard Dessons ne s'intéresse en gros qu'à trois pièces, à savoir Maleine, Pelléas et Tintagiles. Il est quelque peu question de L'Intruse, beaucoup moins des Aveugles, et pratiquement pas des autres - certaines n'étant que mentionnées en passant dans une phrase. Ça n'est clairement pas une méthodologie correcte. Lorsqu'on annonce qu'on va élaborer une thèse à partir d'un corpus précis - ici tout le premier théâtre de Maeterlinck -, on se doit d'étudier tout le corpus, même si certaines oeuvres peuvent prendre plus de place que d'autres. Un étudiant en Lettres se ferait allumer par son directeur de mémoire (du moins si son directeur de mémoire est un tant soit peu sérieux) s'il procédait avec la méthodologie de Gérard Dessons.





Mais évidemment, ce qui saute aux yeux du lecteur, c'est pas le problème de la méthodologie, mais la manière. Ce texte est imbuvable la grande majorité du temps. Je vais donc choisir un extrait au hasard pour que vous puissiez juger de la chose (il est vrai que l'absence de contexte ne va pas vous faciliter la lecture) :

" Cette signifiance n'est pas produite par la logique grammaticale, mais par le continu d'un phrasé qui ressortit à l'ordre du rythme, non à celui du signe. L'organisation des phrases en propositions ne peut faire que ne chemine malgré tout une parole singulière qui dit ce qu'il faut dire. Dans La Mort de Tintagiles, le drame se noue rythmiquement dans un conflit qui met en jeu deux modes d'organisation du langage, celui de la syntaxe et celui d'une métrique. Parler ici de métrique ne signifie pas qu'il y a des vers dans la prose de Maeterlinck, mais qu'une mesure tend à y instaurer une régularité dans la distribution des paroles en faisant coïncider les segments logiques et les séquences syllabiques à la façon de la versification classique."

Il se trouve que c'est loin d'être le passage le plus complexe (quand on a lu ce qui précède, s'entend). Ce qui me dérange, c'est que c'est tout le temps, mais alors tout le temps écrit comme ça, et même souvent de façon beaucoup plus alambiquée. Et c'est dommage, parce que c'est intéressant par moments, voire compréhensible (oui, oui), comme dans ce chapitre où Gérard Dessons étudie les relations entre le prénom "Maleine" et l'adjectif "malade".





Vous aurez compris que si vous n'avez jamais étudié la linguistique, cet essai ne vous est clairement pas destiné - ce qui, je le répète, n'est jamais mentionné dans la quatrième de couverture, ni dans la première édition chez Laurence Teper, ni dans la seconde chez Classiques Garnier (non, je n'en démordrai pas, car ça frôle quasiment l'arnaque). Et vous aurez également compris que si vous êtes à la recherche d'un essai qui analyse le premier théâtre de Maeterlinck de façon intéressante, approfondie, tout en restant clair et compréhensible (ce qui ne me semble tout de même pas impossible), vous pouvez également passer votre chemin.





Bref, si je devais conclure par un mot, un seul, évoquant ce que j'ai ressenti à la lecture de cet essai, force me serait d'inventer un néologisme qui évoquerait à la fois la consternation, la déception, l'agacement, le découragement, l'espoir, la frustration, l'intérêt, l'énervement, l'ennui et la souffrance. Là, je suis à court de mots.







Challenge Théâtre 2020
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L'Art Brut : Actualités et enjeux critiques

Disons-le tout de suite : Ce livre se destine avant tout à ceux et celles ayant déjà des connaissances et un intérêt pour l’art, voire pour l’Art brut directement - sans être totalement inaccessible par les néophytes pour autant (certains passages leur sembleront peut-être soporifiques). L’art brut est un sujet pointu, et bien plus complexe que son concept le laisse entendre, ce que les auteurs démontrent avec brio, certes pas forcément de la manière la plus claire et concise possible. Mais ces spécialistes ont le mérite de faire le tour du sujet et d’apporter matière à réflexion et éléments de réponse autour des théories et questionnements de Dubuffet.

Au final, ce livre permet de mieux comprendre les enjeux de cet art (opposé par nature à l’art académique) face aux musées, au marché de l’art, aux autres formes d’Outsider art, au primitivisme, à l’art contemporain, et même à Internet.



Ma note pour un adepte des arts plastiques : 4/5

Pour un néophite : 2/5.



Livre découvert à l’occasion d’une opération Masse critique.
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Introduction à l'analyse du poème

Un précis de poésie de niveau universitaire très clair et facile d'accès.
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