Guglielmo Cavallo

L'histoire du livre s'est en effet durablement donné pour objet la mesure de l'inégale présence du livre dans les différents groupe qui composent une société. (...)
Pour chacune des "communautés d'interprétation" ainsi identifiées, la relation à l'écrit s'effectue à travers des techniques, des gestes, des manières d'être. La lecture n'est pas seulement une opération intellectuelle abstraite : elle est mise en jeu du corps, inscription dans un espace, rapport à soi ou aux autres. C'est pourquoi, dans ce livre, une attention particulière a été donnée aux façons de lire qui ont disparu ou, pour le moins, qui ont été marginalisées dans le monde contemporain. Par exemple, la lecture à haute voix, dans sa double fonction : communiquer l'écrit à ceux qui ne savent pas le déchiffrer, mais aussi cimenter des formes de sociabilité emboîtées qui sont autant de figures du privé -l'intimité familiale, la convivialité mondaine, la connivence lettrée. Une histoire de la lecture ne doit pas se limiter à la seule généalogie de notre manière contemporaine de lire, en silence et par les yeux. Elle a également, et peut-être surtout pour tâche de retrouver les gestes oubliés, les habitudes disparues. L'enjeu est d'importance puisqu'il révèle non seulement la distante étrangeté de pratiques anciennement communes, mais aussi le statut premier et spécifique de textes qui furent composés pour des lectures qui ne sont pkus celles de leurs lecteurs d'aujourd'hui.