Bertrand Badie et Guillaume Devin ont réuni la fine fleur de l’école doctorale de l’IEP Paris autour du thème du multilatéralisme. Treize contributions, dont on peut parfois déplorer la brièveté, dressent un tableau très complet d’un phénomène qui, nous disent les auteurs en avant-propos « domine (…) la vie internationale depuis 1945 » mais sur lequel « la littérature est plutôt maigre » (p. 7)
Les historiens Maurice Vaïsse et Pierre Grosser nous rappellent que le multilatéralisme n’est pas un phénomène nouveau. Le premier évoque l’entre-deux-guerres et la tentative avortée de la SDN de substituer à un « équilibre des puissances » un véritable « concert des nations ». Assez symptomatiquement, beaucoup de contributions reviennent sur cette période, soit pour en dénoncer les tares – l’Onu tire en 1945 les leçons de l’échec de la SDN – soit au contraire pour insister sur la filiation historique qui relie la SDN à nombre d’organisations multilatérales contemporaines. Le second évoque l’après-seconde guerre mondiale et le basculement d’un affrontement Est-Ouest dans les instances multilatérales à une rupture Nord-Sud, moins conflictuelle mais tout aussi affirmée.
Les différentes facettes du multilatéralisme sont explorées. Un chapitre est consacré au Conseil de sécurité des Nations-Unies dont la réforme sera impossible tant qu’il ne sera pas sorti du dilemme de la représentativité et de l’efficacité. Un chapitre traite du multilatéralisme économique. Une autre contribution, consacrée aux alliances militaires, a pour fil rouge la distinction entre organisations de défense collective et organisations de sécurité collective et le passage de nombreuses alliances de la première à la seconde catégorie. Charles Tenenbaum évoque deux sujets moins classiques : celui des grandes conférences des Nations-Unies et celui des sommets entre Chefs d’Etat, analysés comme une tentative oligarchique de pallier l’inefficacité d’un multilatéralisme par trop égalitaire.
Beaucoup de contributions s’essaient à établir des typologies mais font, très honnêtement, le constat de l’impossibilité de cette tâche. Mélanie Albaret montre par exemple que les organisations régionales les plus intégrées telles l’Union européenne et les plus lâches telles l’ASEAN n’ont pas grand’chose en commun. Marie Törnquist-Chesnier, dans l’article qu’elle consacre aux ONG, évoque l’extrême diversité de ces acteurs non étatiques et des modalités de leur implication au jeu multilatéral. Emmanuel Decaux fait lui aussi le constat d’une inflation juridique provoquée par les organisations internationales, qui brouille les frontières entre le droit interne,fondé sur le monopole de la souveraineté étatique, et le droit international « classique », basé sur l’échange des volontés.
L’échec le plus symptomatique est celui de Guillaume Devin lui-même qui, dans une contribution ambitieuse, tente de faire l’évaluation du multilatéralisme avant de conclure à l’impossibilité d’un tel projet.
Bertrand Badie conclut ce trop court ouvrage sur une thématique sui lui est familière : la Puissance. La logique et l’histoire ont longtemps opposé la puissance au multilatéralisme : Gulliver était d’autant plus empêtré qu’il était prisonnier des fils tissés par autant de Lilliputiens multilatéralistes. L’exemple américain, auquel Pierre Mélandri consacre un chapitre, montre que l’hyper-puissance n’est multilatéraliste que lorsqu’elle y a intérêt. Pour autant, aussi puissants soient-ils, les Etats-Unis ne peuvent pas, partout et toujours agir seuls. Le bourbier irakien le leur aura montré. « Entre ce que la coopération requiert et ce que la souveraineté retient » (p. 151) le multilatéralisme peut s’avérer un point d’équilibre plus économique, plus utile que l’exercice solitaire de la puissance.
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