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Citation de martineden74


Les deux enfants étaient devenues inséparables (…)
Tant qu'ovaires et hypophyses se sentaient tranquilles, les parents de Zina toléraient cette amitié. En fin de CM2, un drame irréversible vint troubler leur union, Zina ovula pour la première fois, son endomètre s'épaissit, pour se désagréger deux semaines plus tard. Zina eut ses premières règles. Zina saigna, son père cria, sa mère la gronda, Zina pleura. Zina, du jour au lendemain, éprouva une gêne épouvantable, la honte profonde de n'être qu'une fille, une fille qui, malgré elle, devenait une femme; son pédiatre un médecin marocain consulté à la hâte après ces premiers saignements, se contenta de lui annoncer qu'à compter d'aujourd'hui elle pourrait être enceinte. Comment, elle ne le savait pas exactement, mais l'idée même de porter un enfant, alors qu'elle en était encore une, la dégoûta instantanément. Son corps lui parut soudain courbe et obscène, renfermant un esprit qui devrait désormais se tenir à carreau. A partir de maintenant, il lui fallut surveiller son accoutrement, et ses accointances.
C'est en observant les bras et les jambes de Zina se vêtir peu à peu que Maya commença à s'intéresser au langage des habits. (…)
Il fallait connaitre Zina depuis un petit moment pour saisir les mécanismes qui, insidieusement, se mettaient en place; il n'était pas ici question d'une caricaturale orientalisation qui cristalliserait les élans phobiques de leurs autres. Aucune femme, dans la famille de Zina, ne se couvrait la tête, d'aucune on ne pouvait deviner l'origine en un simple coup d’œil pour en tirer des conclusions hâtives. Il ne s'agissait pas de devenir arabe, mais simplement convenable. Ce qui frappa le plus Maya, en tout premier, fut l'emprisonnement de l'épaisse chevelure de son amie dans une tresse désormais rituelle, une tresse bien serrée dont aucun cheveu ne dépasse jamais. (…) Zina réglée, il fallait contenir sa féminité, maintenir en captivité ces cascades de boucles qui permirent aux peintres classiques de représenter l'érotisme sans craindre la censure, ou, par leur longueur, cacher la toison du sexe féminin. Bien sûr, on ne verbalisa pas l'aspect suggestif des cheveux longs pour convaincre Zina de ne plus exposer sa féminité. Ce n'est pas du regard des hommes qu'elle devait désormais se protéger, mais d'une épidémie de poux extrêmement virulents, des parasites venus d'Asie dont certains seraient mortels, qui sévissait depuis quelques semaines sur la Côte d'Azur. Sans même s'en rendre compte, Zina commença à éprouver un certain dégoût pour les mèches rebelles, puis, au fil des semaines pour les poils en tout genre. (…) Pour devenir une femme respectable il fallait se débarrasser de tout ce qui fait son animalité. Ne pas provoquer de désir inconscient, ne pas éprouver de désir inconscient, se laver de tout son érotisme. Cet empressement à la désexualisation, qui n'est que le reflet d'une considération ambivalente et hyper précoce du corps féminin, provoquera chez Zina un triple dégoût, de l'amour physique, des hommes dans leur intégralité, d'elle même. Même ses copines prépubères la répugnèrent, leurs corps non épilés lui paraissaient sales, leurs pensées, impures. Un été, lors d'un séjour en colonie de vacances non mixte, elle trouva du réconfort auprès d'une petite camarade issue de la bourgeoisie italienne qui partageait son dégoût; Cosima, héritière d'un empire industriel fondé par son arrière-grand-père, lui raconta comment seules les aisselles de prostituées restaient velues, motif avancé par ses parents pour lui interdire d'écouter les albums de Madonna. Les deux petites filles comprendraient-elles un jour qu'elles furent, malgré elles, éduquées à haïr leur sensualité, leur sensualité, leur féminité ?
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