Ian Buruma

Si le sous-titre en Français de cet ouvrage est un peu pompeux et exagéré, le meurtre brutal en pleine rue à Amsterdam, le 2 novembre 2004, du réalisateur Theo van Gogh, arrière-petit-neveu du peintre Vincent van Gogh, a été un épisode crucial et tragique dans la radicalisation des mœurs politico-religieuses aux Pays-Bas.



Dans la version originale du sous-titre en Anglais, il est question de " the Limits of Tolerance", qui correspond à mon avis mieux à la réalité.

D’autant plus que ce meurtre est intervenu à peine 2 ans après l’assassinat de l’homme politique Pim Fortuyn, le 6 mai 2002 à Hilversum.



Dans les 2 cas, le motif du crime invoqué par les assassins se réfère à l’islam.



Le meurtrier de Fortuyn, Volkert van der Graaf, sympathisant de l’extrême gauche hollandaise, a déclaré qu’il a agi en défense de la communauté musulmane des Pays-Bas contre l’auteur de "Contre l’islamisation de notre culture" de 1997 et les mesures politiques qui y étaient préconisées.

Condamné à 18 ans de prison, van der Graaf a bénéficié d’une libération conditionnelle anticipée le 2 mai 2014, ce qui a suscité maintes protestations dans le royaume de Willem-Alexander.



L’homme qui a tiré 8 coups de revolver sur Theo van Gogh, qui se baladait tranquillement à bicyclette au centre d’Amsterdam, avant de l’égorger au couteau, s’appelle Mohammed Bouyeri, né en 1978 à Amsterdam de parents marocains.



Arrêté très vite par la police, il a déclaré avoir agi pour se venger du film moyen-métrage "Submission" (soumission) de van Gogh qu’il considérait blasphématoire à Allah et l’islam.

Lors de son procès, il a déclaré être coupable et a refusé l’assistance d’un avocat. Le tribunal d’Amsterdam l’a condamné, le 26 juillet 2005, à vie, ce qui est rarissime aux Pays-Bas. Bouyeri se trouve actuellement dans la prison de sécurité maximale à Vught, à une trentaine de kilomètres au Nord d’Eindhoven.



Sur le corps du réalisateur l’assassin a laissé une note adressée en fait à la députée néerlandaise d’origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali, née à Mogadiscio en 1969 et qui figure dans ce film, où la position de la femme dans certains pays musulmans est fortement critiquée.

De la détentrice du Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes en 2008, j’ai brossé le portrait dans mon billet ici du 14 avril 2017 relatif à son autobiographie "Ma vie rebelle".



Triste anecdote, le fils de Theo, Lieuwe van Gogh, qui avait 12 ans au moment de l’assassinat en a tout entendu ! Aujourd’hui, à presque 32 ans, dans la bonne tradition familiale, il est artiste peintre. Récemment à un journaliste qui faisait un parallèle avec son ancêtre Vincent van Gogh (1853-1890) enterré à Auvers-sur-Oise, il a dit simplement : "Appelle moi Lieuwe."



Son père, Theo, n’était pas peintre, mais avait des dons de réalisateur cinématographique. Une carrière qui s’annonçait favorablement, lorsque tout s’est arrêté pour lui à l’âge de 47 ans.

C’était aussi un homme réputé pour ses propos provocateurs et selon Ian Buruma, même "offensant".

Alexandre Héraud a, en 2006, sorti un livre avec le titre évocateur : "L’assassinat de Théo Van Gogh : Portrait d’un provocateur". Ouvrage que je n’ai pas lu, mais que je tiens à signaler en passant.



Personnellement, je trouve Geert Wilders, chef du Parti pour la liberté, qui a déclaré que l’islam "est une idéologie fasciste" et qui a comparé le Coran à "Mein Kampf" d’Hitler, nettement plus offensant et provocant. De même que Thierry Baudet, chef du Forum pour la démocratie, un ultra- nationaliste impénitent et fan de Poutine, qui n’arrête pas ses diatribes gratuites et blessantes.



Depuis ces 2 attentats on constate aux Pays-Bas une radicalisation nationaliste et populiste d’une partie de la population, où gouverner n’est déjà guère simple au départ à cause des différents mouvements religieux fort influents.

C’est sûr que la tolérance hollandaise traditionnelle y a pris des coups, mais parler de "la fin de l’Europe des lumières" me semble tout de même plutôt un pont trop loin.



L’ouvrage de Buruma n’est, à mon sens, pas son meilleur, bien qu’il soit instructif sur la politique de nos voisins du nord et qu’il se lise facilement.



L’auteur est de formation sinologue et japonologue, né à La Haye en 1951, journaliste professionnel et un conférencier apprécié. Ian Buruma a écrit de nombreux livres en sa langue maternelle et en Anglais sur l’Extrême-Orient, thème sur lequel il jouit d’une autorité incontestable.

Non, décidément, tout le monde n'a pas jeté des fleurs en l'air lors de bals populaires en 1945... Ou alors pas bien longtemps...