AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de idirtas


Depuis quelques instants déjà, des femmes, le dos chargé de fagots et de bêches, revenaient des champs en traînant le pas, lasses d’avoir creusé la terre. Des gestes qu’elles avaient exécutés, il ne restait plus qu’un corps meurtri et endolori. Maintenant qu’elles rentraient, elles allaient préparer le repas du soir et dans tout le village un fumet d’herbes et de légumes flotterait. Par petits groupes, elles avançaient. Quelques-unes portaient des enfants endormis, au visage crotté et terreux. Derrière, d’autres enfants plus grands menaient les chèvres et les brebis, frappant régulièrement le sol de leur bâton. Quand les mulets et les ânes geignant sous leurs charges apparaissaient, les hommes n’étaient plus loin. Ils suivaient les bêtes, les rudoyaient de coups et d’injures. Des chiens aboyaient furieusement et les derniers hommes, précédés par des adolescents joyeux à l’idée que demain ils deviendraient à leur tour de grandes personnes, ramenaient les socles et les piochons. Chaque jour d’automne, dans une clameur rituelle et harmonieuse, c’était ainsi que les crépuscules s’annonçaient. Sur les montagnes, les roches plus réelles sans la lueur du soleil révélaient leurs anfractuosités. Le village plongerait bientôt dans un profond sommeil que seules les grenouillères coassantes et les chacals jappeurs dérangeraient.
Akli regagna le jardin où il trouva son grand-père Larbi installé dans sa brouette. Sans mot dire, il s’assit près de lui sur la murette. Et tandis qu’ils regardaient ensemble pousser la nuit, Rex, à une centaine de mètres plus bas, allait et venait le long des thuyas clabaudeurs.
Au bout de quelques minutes, à brûle-pourpoint, Akli rompit le silence :
— Dis-moi, papy, pourquoi certaines personnes sont méchantes avec d’autres ?
— Tu penses à qui, fiston ?
— Aux villageois, et à ce qu’ils racontent sur Babouh.
— Tu sais, Akli, les grandes personnes parlent beaucoup. Mais elles croient rarement ce qu’elles disent.
— Babouh n’est pas celui qu’elles imaginent, grand-père !
— Je le sais bien, Akli.
— Que lui reproche-t-on alors ?
— Ce qu’on lui reproche ? Disons simplement… qu’on n’aime pas ceux qui n’ont ni feu ni lieu.
— Je ne te comprends pas, grand-père !
— Pour parler clairement : un homme de son âge ne peut pas rester éternellement sans enfant, ni femme, ni maison.
— On n’est pas libre de vivre comme ça nous plaît ?
— Dans une certaine mesure, si. En respectant nos lois, nos traditions. Sinon…
— Sinon quoi, grand-père ?
— Sinon, on est désigné du doigt.
— C’est tout ?
— Que vas-tu imaginer, fiston ? Nous ne sommes pas des sauvages, voyons !
— Est-il vrai que son cousin Mohand est pressé de mettre la main sur ses terres ?
— Qui t’a dit ça ?
— Mon père.
— Ce ne sont que des rumeurs, mon enfant. Cela fait des années que Mohand laboure les terres abandonnées de son cousin Babouh. Et celui-ci ne lui a jamais fait de reproche !
Commenter  J’apprécie          190





Ont apprécié cette citation (5)voir plus




{* *}