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Critiques de Isabelle Forno (2)
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Concertina

Ce recueil est constitué de quatre-vingt-quatre poèmes et textes divers, percutants, mélancoliques ou tendres, des souvenirs glanés au fil des ans qui mêlent émotions, réflexions et poésie, avec une belle continuité malgré l’hétérogénéité apparente des thèmes abordés.

Nous y découvrons tous les moments de la vie d’une femme, depuis une naissance difficile, car frôlant la mort de près, en passant par l’enfance, l’adolescence et la découverte de son corps, la maturité et ses relations avec les hommes, les liens avec sa mère et son père, et bien sûr : l’écriture… Un livre de femme donc, et revendiqué comme tel, mais dans lequel chacun peut se retrouver, quel que soit son genre.

D’emblée, Isabelle Forno nous rappelle le double sens du mot concertina qui donne son titre au livre : tout d’abord « type de fil de fer barbelé. Emblématique des clôtures de prison, et des murs d’enceinte des sites ultra-sensibles [… dont ] les lames de rasoir judicieusement adaptées retardent les tentatives d’intrusion » mais aussi « instrument de musique ressemblant à l’accordéon [ … qui ] s’intègre parfaitement à d’autres instruments pour accompagner tout type de musique, grâce à des sons à la fois mordants et doux, qui portent loin ».

Le deuxième sens est immédiatement évident au lecteur, car l’écriture, d’une élégante fluidité, va à l’essentiel sans fioritures. Ainsi, dans Les Rugissants lorsqu’elle nous parle du projet de ce livre :

« Les mots seront simples les impressions complexes.

Les mots seront prudents, les souvenirs ardents,

On devinera au loin le ressac des vagues,

Et leurs chants scélérats,

Et dans les eaux vives du souvenir

On pêchera au hasard.

**

Les mots gicleront aux crètes des écumes,

Au gré de l’onde qui tremble et gronde,

Charriant dans leur bond des histoires de femmes. [ … ] »

Quant au côté « barbelés » du concertina, ils sont les barbelés que la vie impose – à des degrés divers – à chaque humain. Ce ne sont pas les lecteurs qui peuvent s’en trouver tailladés et meurtris, mais bien l’auteure, même si –, pudeur, ou optimisme ? – une joie de vivre tempérée par la lucidité domine dans la plupart des textes.

Portraits ou autoportraits, rencontres, expériences et découvertes, toute une vie défile dans ces descriptions lucides, précises, ou parfois en ombres chinoises auxquelles le lecteur doit donner du sens.

Ainsi en est-il avec Quantum satis, quand elle nous parle en dix pages émouvantes et d’une densité allant parfois jusqu’à l’ellipse, de sa relation compliquée avec un homme qui a compté pour elle.

Ou bien avec Scialytique, où elle évoque l’évènement traumatisant de sa naissance, qui l’a menée tout près de la mort, et l’amour pour ses parents :

« C’est à vous deux que je dois la vie.

Non pas la vie déposée en secret

Dans le murmure de l’étreinte,

Mais plutôt la vie arrachée aux ténèbres,

Alors que je venais à peine de naître,

Et que déjà il me fallait envisager de mourir ! […]»

Ou symétriquement dans Mare Nostrum, quand elle évoque dans ce bref poème la naissance de ses enfants :

« De vos naissances,

Je garderai toujours

Le souvenir vivant

De cette vague sauvage,

Puis de plaisir

Débordant et total,

Qui a déferlé sur mon corps

Pendant que vous atteigniez

La rive des humains. »

Et tant de choses encore, dans un beau foisonnement, depuis la drôlerie de son regard sur l’enfermement lié au Covid dans Au quartier dit des confinés, jusqu’à Mum Manifesto, long poème-manifeste sur le féminisme, en passant par Salle des Pas Perdus où se retrouve – avec tant d’autres – son père en fin de vie.

Un livre tout à la fois émouvant et drôle, lucide et joyeux, qui peut être lu d’une traite de la première à la dernière page, ou si vous préférez, picoré au gré de votre fantaisie et du hasard des pages, le même hasard qui a permis de faire éclore l’essentiel des évènements qui constituent une vie, la vôtre et celle de chacun, tout comme celle de l’auteure.

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Travail, peurs et résistances : Critique de l..

« Se tenir sur le fil du rasoir comme un danseur de cordes, repérer depuis un point à la fois menacé et invincible, les périls qui guettent de toutes parts et les chances qui gisent à même le danger, telle est à la fois ligne droite et sinueuse de la résistance » Françoise Proust citée par l’auteure.



Dans le système capitaliste mondialisé, l’entreprise est au centre des attentions, l’entreprise et ses actionnaires qui prennent, soit-disant, tous les risques face à la concurrence. Un conte pas très moral pour masquer des réalités bien tangibles. Exit les salarié-e-s, exit la subordination, exit les résistances, place à la responsabilité sociale, à la surveillance des risques psychosociaux. Ce faisant, cette présentation, très à la mode, vise à transformer, ou au moins à maquiller, le cœur du rapport salarial et le(s) salarié-(e-s) « Le statufiant en quelque sorte sous la posture du ”gisant”, elle l’implore de garder sagement la pose, pendant que le travail, principale source de la souffrance salariale, continue de distiller ses effets ravageurs et dysfonctionner en toute impunité »



Le livre est divisé en quatre chapitres, centrés sur « Un salarié » « en souffrance », « en méfiance », « sous surveillance » et « en résistance(s) ».



L’auteure propose de « briser ce piège de la victimisation d’autant plus pervers, qu’en cernant les fragiles, il protège avant tout les fauteurs de troubles ». Au départ bien évidemment la subordination « Dans les relations de travail, la question de la subordination reste un élément central de la définition du salariat et structure à mon sens fortement le cadre juridique, mais également psychique, des relations entre un employeur et ”son” subordonné. » Sur la subordination et plus générale le droit du travail Laurent Willemez : Le droit du travail en danger (Editions du Croquant, paris 2006)

L’auteure s’attache particulièrement à décrire les évolutions internes des entreprises, les nouvelles orientations de management, les réalités le plus souvent cachées : « Sous prétexte d’optimiser les organisations et de créer de la valeur, l’entreprise va imposer au travail toujours plus de sévices. Elle va le ”tendre” (méthode kanban de gestion à flux tendu par exemple), le tronçonner (organisation en silo, externalisation des activités en dehors du cœur de métier), l’exiler (délocalisations), le trancher à vif (méthode du down sizing ou de suppression de postes), l’amaigrir (lean ou gestion drastique de ses frais), le harceler ( kaizen : méthodes d’amélioration continue), l’écarteler (pression sur les objectifs, intensification de son rythme, et diminution de ses ressources) » Et la/le salarié-e est rendu-e abstrait-e, transformé-e en un Équivalent Temps Complet « Au bout du compte l’entreprise fait de lui un ETP en trop, autant dire un ennemi à éradiquer ».



Ces descriptions sont ensuite mis en relation avec le soin particulier que semblent développer les états-majors pour contenir les risques psychosociaux. Deux citations de l’auteure :



« Quelle aubaine aussi pour l’entreprise qui crée artificiellement un consensus autour de la question psychosociale en ayant pris soin de faire disparaître le terme même de ”souffrance au travail” indésirable et dangereux pour sa réputation, en le poussant ”hors les murs”. »



« Pendant que la machinerie à gestion de projets, à fabrication de tableaux de bord, à consolidation d’indicateurs, à recherche d’indices, déploie toutes ses fonctionnalités pour prévenir les risques psychosociaux, le travail, principal générateur de stress et de souffrance, échappe à la remise en cause de l’entreprise, à la critique de ses cadres, à la vindicte de ses salariés. »



Il est donc plus que légitime de s’interroger « Et si la fabrication du risque psycho social avait pour fonction d’éviter de intéresser aux pathologies du travail, de nier sa maladie, et pour mieux l’innocenter de victimiser le salarié ? »



Isabelle Forno souligne, à très juste titre, dans cette narration excluante des fondements de la réalité des salarié-e-s, ce grand absent qu’est le travail « Or pour les humains, le travail… ce n’est pas que le travail ». A cela s’ajoute une autre négation « Exit également la question de la conflictualité autour du travail, de son organisation, de sons sens ».



Pour utiliser un langage, que ne partagerait peut-être pas l’auteure, ce travail n’est pas seulement une « activité », c’est l’exploitation de la force de travail dans des rapports sociaux asymétriques, c’est une forme historique de travail, particulière au système capitaliste.



Quoiqu’il en soit, pour en rester aux analyses et aux interrogations posées par d’Isabelle Forno : « Comment accepter, en effet, d’être ainsi aidé et soigné par cette même entreprise qui vous met(trait) à mal, vous brutalise(rait), vous stresse(rait) ou vous harcèle(rait) ? ».



Je ne partage pas les appréciations de l’auteure sur l’absence de formes de résistance ou de conflictualité « traditionnelle ». Le travail ne saurait être réduit à des fonctionnalités sans contradiction. Les salarié-e-s sont toujours, d’une certaine façon, en résistance contre les formes imposées du travail. Ce qui diffèrent dans le temps, c’est à la fois les rapports de force entre groupes sociaux, la conscience individuelle de la situation et les formes d’organisation, plus ou moins collectives. Une opposition irréductible, car au fondement du fonctionnement du système. Cela n’enlève rien, aux propos de l’auteure : « Qu’il s’agisse de récalcitrance, de dissidence, de rébellion, de contestation ou, de l’autre coté de cet invisible bras de fer, de motivation, de coopération, de solidarité, nous assistons à une même déclinaison de ce que j’appellerai la ”créativité des indignés” », ni aux conclusions qu’elle en tire « Il devra tenter, chemin faisant, un nouveau rapport de confiance avec tous ceux qu’il va y croiser et oser réinvestir à nouveau le champ de l’action collective et politique pour lutter efficacement contre l’extermination de la vie au travail. »



Je termine par ses propos sur le suicide en entreprise « Lorsqu’un suicide est reconnu comme accident du travail c’est finalement toute une société qui reconnaît que potentiellement travailler est un risque mortel. » Sur ce sujet, encomplément possible, le livre de la Fondation Copernic, coordonné par Louis-Marie Barnier : Travailler tue en toute impunité… (Editions Syllepse, Paris 2009)

L’auteure a exercé des fonctions de direction, des mal-nommées, ressources humaines, son expérience et ses réflexions se traduisent par un livre réjouissant, au langage sans détour, acerbe et ironique, en décalage avec les propos souvent tenus, y compris dans les milieux syndicaux. Un regard « décentré » pour une critique de la victimisation des salarié-e-s et la remise au centre de la réflexion du travail, activité nuisible dans sa forme même, qu’il convient, au delà des adaptations nécessaires, de réduire à une durée la plus faible possible.
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