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Citation de Charybde2


Et puis il y a Ourko : le chien.
Ourko n’existe pas, il n’a jamais existé. Quand j’avais six ans, j’en avais très peur, Fred l’utilisait comme une menace pour me trimballer dans des chantages de gosse cruel. Il a toujours su, pour ma peur des chiens. Un danger invisible – persuasion et conditionnement -, ça fout la pétoche à n’importe quel gamin. Avec les années, c’est devenu un leitmotiv. Fred est en retard, c’est la faute du chien. Ourko l’a retardé, pas la peine de s’énerver, le simple fait de mentionner ce nom me fait passer la pilule. Chien à la con. Je lâche un rire, résigné. Mieux vaut prendre de l’avance, direction embarquement.
Fred a cinq ans de plus que moi. Lorsqu’on était gosses, son meilleur ami à l’école était un fils de flic. On raffolait de toutes les histoires tordues que ce mec tenait de son père. L’une des plus dingues restant celle du chien invisible :
Interrogatoire de nuit – le père flic s’est, un soir, retrouvé à bout de forces. Seul dans un box face à un suspect n’ayant pas décroché un mot durant plusieurs heures, il a fini par perdre les pédales :
« Il se fout de ma gueule. C’est un malin, lui, hein ? T’entends ça, Ourko ? Il me prend pour un con. T’es pas d’accord ? Il me prend pour un con ou quoi ? »
Le père flic parlait à Ourko, le chien invisible. Ça a duré une heure, sous les yeux du gars menotté à sa chaise, qui, au bout du compte, a fini par sortir de son mutisme :
« Monsieur, mais à qui vous parlez, là ?
– Ta gueule ! Je parle à mon chien !
– Mais y a pas de chien !
– T’as vu ça, Ourko ? Il me coupe la parole, ce petit con.
– Mais, monsieur, il est où, votre chien ?
– Putain, il continue à se foutre de moi. Me coupe pas la parole, je parle à Ourko ! »
Un premier coup de poing est parti. Puis le flic a continué à parler à Ourko, alternant de plus en plus rapidement tartes dans la tronche et conversations imaginaires :
« Ourko ! va chercher ! Voilà… Là, c’est bien. Ça, c’est un bon chien. »
En plus de parler, le père flic jouait avec le chien invisible dans le box d’interrogatoire, à courir dans tous les sens, allant parfois se nicher juste derrière la chaise du type menotté.
« Attaque, Ourko ! Attaque ! » »
Le flic se mettait alors à mordre, en remuant la tête toutes dents serrées. Ourko est un fantôme qui s’incarne en celui qui fait appel à lui. Morsure jusqu’au sang, la victime hurle :
« Au secours ! Laissez-moi sortir ! »
Le but premier, c’est de faire sortir le suspect de son mutisme.
« C’est pas bien, Ourko ! Mauvais chien ! Pourquoi t’as mordu le monsieur ? Méchant chien ! Non ! Méchant chien ! »
C’est maintenant qu’il faut donner sa correction au clébard. Un jeu de chaises musicales, le flic voit Ourko à travers son interlocuteur. C’est le moment de le tabasser :
« Vilain chien ! Mauvais chien ! Ourko, sale bâtard ! »
Une nuit entière à ce régime. Faire le chien. Mordre celui qui lui fait face, lui faire tenir le rôle du chien… Bon chien, mauvais chien. Jouer avec le chien, debout, à quatre pattes, imiter le chien, faire des bruits de chien et, surtout, ne jamais parler directement au suspect. Toujours parler au chien, parce que le chien, c’est l’autre.
Fred a tellement aimé cette histoire qu’il a fini par adopter Ourko. J’y ai eu droit durant mes années d’enfance, saloperies d’engueulades entre frères, je me prenais toujours la parade du chien dans la figure. Avec le temps, j’ai fini par aimer Ourko, par l’apprivoiser.
Le seul chien que j’aime, c’est un chien qui n’existe pas.
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