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Citation de Gilles59


Soudain, il huma l’air. Une odeur étrange frappait ses narines. Une odeur tellement violente qu’il en manque s’évanouir. Elle s’élevait dans son cerveau comme les vapeurs de l’alcool, l’engourdissant et l’exaltant tour à tour, en traçant de curieux paysages devant ses yeux. « Mais quel est ce parfum si paisible et si bon ? Un pré fauché à la lisière d’une forêt. Tel l’encens qui s’élève des autels sacrificatoires, des meules de foin l’odeur monte vers le ciel. Sur ce pré, je me suis couché moi-même. J’ai du foin sous la tête, j’ai des brindilles dans les cheveux. Je suis couvert d’épices chaudes qui se dessèchent. Et je reconnais leurs différents langages : le serpolet, la sauge, la camomille.
>> Et quand j’ouvre les yeux, je vois la brume épaisse comme un crème. Je me souviens, je commence à me souvenir. La princesse s’éloigne et une musique, quelque part au centre de l’univers accompagne sa fuite… Mais ce parfum, d’où vient-il et quelle est sa signification ? Est-ce l’envoûtante mélodie des odeurs, qui berce et déchire avec plus de violence encore que le triste amour, aux lointains, du violoncelle et du violon ?
>> Et s’exhale l’arôme de la forêt, des mousses, des aiguilles de pins, des fraises et de la résine. Je vois une source blottie sous la verte dentelle des fougères. Y viennent boire les oiseaux des bois, les chevreuils et les braconniers…
>> Mais à présent, l’odeur de la forêt se disperse aussi dans la blancheur du brouillard. (…) Un vent s’élève qui fait claquer les voiles. La froide odeur de la mer (…)
>> Et voici qu’une nouvelle odeur, complètement différente, naît et prends sa place. Elle évoque un rêve étrange, depuis longtemps oublié. La chaleur du fourneau de cuisine, les fumets nourrissants des casseroles qui disent que le déjeuner est proche. Et soudain le courant d’air d’une porte brusquement ouverte. Une bouche qui s’ouvre et crie : « La guerre ! » Et de nouveau tout disparait sans laisser de trace (…)
>> Maintenant les odeurs se succèdent rapidement.
>> Une locomotive qui s’essouffle, les fumées.
>> La puanteur des wagons : six chevaux, trente hommes…
>> L’atmosphère meurtrière de la saleté, de l’eau-de-vie, des pieds sales et des latrines.
>> Le lointain
>> La terre fraichement retournée.
>> La poudre.
>> Les incendies qui couvent.
>> Le sang.
>> La pourriture des déchets, des conserves, des blessures purulentes, du phénol ; la pestilence des punaises écrasées, la fermentation et la décomposition de la chair ; les engelures noires qui se putréfient sous les pansements malpropres.
>> Au plafond, une petite lampe jaune répand dans l’air un mélange de pétrole et de mèche qui charbonne.
Pierre Brok se ressaisit. « Cela, tout cela, c’est mon passé ! Ce sont les souvenirs que j’ai perdus. Vite ! Vite ! » Il tendit la main. Rien ! La brume blanche. La princesse noire.
« Il n’est point de passé, hormis Mullertown »
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