Jean-François Beauchemin

Dans les derniers temps de sa vie, maman cherchait encore quel sens donner à son long séjour sur la Terre. Elle me prenait à part, se confiait à moi au sujet de ses plus obsédantes inquiétudes. « Que laisserai-je en quittant ce monde ? » s’interrogeait-elle. Un jour de septembre, alors que nous étions tous les deux sous la petite véranda de la maison familiale, j’ai dit : « Apprends-moi à faire ta minestrone. » Les arbres commençaient à perdre leurs feuilles. La nature répandait partout sa lumière traversée d’or et de cuivre. J’ai rangé parmi les plus belles images de ma pauvre mémoire le souvenir impérissable de ce jour-là. Autour de la table et de la cuisinière où chauffait une marmite, j’étais initié au subtil mélange des légumes, du lard et des plantes aromatiques, au savant dosage des petites pâtes et du parmesan entrant dans la composition de la soupe qui rendait mon père si heureux.
Aux funérailles quelques années plus tard, le prêtre m’a demandé de dire quelques mots après l’homélie. Le moment venu j’ai quitté le long banc de bois où je m’étais installé entre mon frère et mon père, je me suis présenté devant l’auditoire rassemblé là et j’ai raconté cette journée de septembre pour moi inoubliable. À la fin j’ai cru bon de donner à tous ces gens présents dans l’église la recette de la minestrone de maman, en insistant sur l’importance de la fraîcheur des ingrédients, des dosages, de l’assaisonnement et de la qualité de la lumière ambiante.
Je croyais cet épisode ancien oublié par mon frère. Mais il y a quelques jours, à table, tandis justement que je lui resservais un peu de soupe, quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre relater, avec des mots d’une hallucinante précision, ce moment si émouvant.