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Citation de Cielvariable


A l’été 1999, Léger & Léger a testé l’énoncé suivant : « Ça ne me dérange pas que le Québec soit une province ou un pays. Ce qui est important, c’est que cette question soit réglée une fois pour toutes. » Les répondants venaient d’indiquer, quelques minutes plus tôt, qu’ils étaient à 55% opposés à la souveraineté. Mais ils se sont dit d’accord avec cet énoncé dans une proportion de… 70% (dont un énorme 48% « entièrement d’accord »).

On peut penser que, chaque répondant imaginant la victoire de son option, a projeté son espoir sur sa réponse, mais Léger ne les a pas laissés s’en tirer à si bon compte. À ces répondants qui venaient de dire, à 55%, qu’ils étaient contre la souveraineté et, à 73%, qu’ils ne voulaient pas de référendum sur la souveraineté, il a demandé : « souhaiteriez-vous un nouveau référendum si vous étiez à peu près certain que la majorité des Québécois voteraient Oui à ce référendum ?» Réponse : Oui, 52%.

La volonté d’en finir est plus forte que la volonté tout court. Ce résultat ne signifie absolument pas qu’un référendum sur la souveraineté serait gagnant. Une majorité souverainiste requiert un effort de volonté dont la disparition est révélée par toutes les réponses précédentes, qui éclairent aussi l’érosion du lien canadien. Tout pourrit en même temps. Et un gouvernement fédéral trudeauiste qui voudrait faire entériner par référendum sa vision de la place du Québec au Canada s’engloutirait dans le même marais (seulement 13% des Québécois approuvent le « fédéralisme actuel »). Rien de solide ne peut être construit sur la base de l’opinion politique québécoise actuelle.

La dernière question de Léger nous éclaire cependant sur la nature du blocage qui provoque tout ce reflux. En déclarant qu’ils voudraient un « référendum gagnant sur la souveraineté » pour en « finir une fois pour toutes », alors même qu’ils nous disent être « tannés d’en entendre parler » (73%), qu’ils ne veulent pas de référendum et ne veulent pas de la souveraineté, les Québécois identifient leur blocage: la peur de perdre encore, la peur de se déchirer pour rien, la peur de se chicaner pour rien. Retirer cette peur de l’équation, c’est modifier l’opinion du tout au tout. C’est la clé.

Il ne s’agit pas de la peur des impacts économiques de la souveraineté – elle a diminué avec les années. Il ne s’agit pas de la peur de négociations difficiles avec le Canada – c’est un tracas parmi d’autres. Il s’agit ici d’une peur différente, à la fois moins tangible mais plus paralysante : la peur de se dire non à soi-même, la peur de faire la preuve que nous sommes des loosers.

Il faudra raconter un jour comment le traumatisme de l’échec de 1980 a pesé, à 15 ans de distance, sur les préparatifs du référendum de 1995. Comment des dizaines de milliers de militants souverainistes, puis des centaines de milliers de Québécois, ont refusé de croire à la possibilité d’une victoire du Oui à l’automne 1995 jusqu’à la toute dernière semaine. Qu’ils se sont alors, presque à reculons, donnés la permission d’espérer. Que dans des jours chargés d’émotion, d’angoisse, d’espoir, de courage et de foi, ils se sont presque dit Oui. La remontée du Oui dans les semaines ayant immédiatement suivi le référendum est d’ailleurs dû au réflexe de ceux qui disaient : « avoir su que tant de gens voteraient Oui, je l’aurais fait moi aussi ».

Mais ayant surmonté, avec beaucoup de difficulté, leur peur de l’échec en 1995, ils ont échoué encore. Et cette conscience d’avoir échoué a mis plus d’un an à s’installer, tant les vainqueurs d’octobre 1995 avaient l’air de vaincus. Mais en 1999, en 2000, chacun a repris son vrai rôle. Les vainqueurs ont l’air plus vainqueurs que jamais, les vaincus plus victimes que jamais. Et les électeurs du Oui, ceux qui voulaient l’être, pensaient l’être, pourraient l’être, voient le risque d’un nouvel échec comme une épreuve à éviter à tout prix.

S’ils avaient la garantie qu’une majorité allait voter Oui, 60% de préférence pour être bien certains, ils seraient prêts pour un nouveau rendez-vous. Si le résultat du vote était connu à l’avance, publié la veille de la tenue du référendum, ils retrouveraient leur ressort, poserait le geste, « en finiraient ».

Mais tant que ça n’arrivera pas – et ça n’arrivera pas – ils sont aux aguets et vont s’assurer qu’on ne les y reprendra pas. Ils savent comment le processus souverainiste s’installe sur la rampe de lancement, ils savent comment il peut prendre de l’élan, du momentum. Ils l’imaginent décoller, puis s’écraser, et leur faire mal. Et ils savent comment l’en empêcher.

En inventant le concept de « référendum gagnant » et surtout de « conditions gagnantes », Lucien Bouchard a une fois de plus démontré sa capacité de coller à l’humeur populaire. Cependant, en disant tout haut ce que les Québécois pensaient secrètement, en mettant les conditions gagnantes au centre du jeu politique pendant la campagne de 1998, il en a fait, non autant d’étapes à franchir dans la longue marche vers la souveraineté, mais autant de signaux d’alarme. Un genre de « système de détection avancé » de la souveraineté.

L’électorat, sentant que les premières conditions gagnantes allaient être réunies aux élections du 30 novembre 1998, et voulant écarter toute possibilité d’un nouvel échec souverainiste, a mis les freins.

S’est ainsi créé, pour le Québec politique de l’an 2000, un cercle vicieux. Rejetant la souveraineté par peur de ne pouvoir la réaliser, mais encore convaincus de la nécessité d’un Québec fort, les électeurs n’appuient que faiblement le seul parti qui veuille réellement défendre le Québec, de peur que ce dernier n’en profite pour faire la souveraineté. Résultat: le rapport de forces du Québec s’amoindrit, le gouvernement souverainiste n’a pas l’élan requis pour proposer la souveraineté et ne peut mobiliser correctement l’opinion pour la défense des droits du Québec, car il est a priori suspect de vouloir en faire un tremplin pour la souveraineté. Quant au parti fédéraliste, assez lucide pour savoir le fédéralisme non réformable, il ne veut pas défendre avec force les droits du Québec, de peur d’échouer dans ses revendications et de faire ainsi la démonstration de la nécessité de la souveraineté.

Nous sommes dans la pire des situations.
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