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Citation de Partemps


LIONEL MARCHETTI L'ASSIETTE BLEUE

« Concret ou abstrait ?
J’aime l’abstrait où subsiste un souvenir de substance ; le concret qui s’affine aux frontières du vide.»

Kenneth White

L'image, le souffle, le gouffre

1 -

Mardi 3 janvier 2011
Musée des Beaux-arts de Yokohama - Japon

Je regarde une toile de Paul Cézanne
L'assiette bleue (1879/1882) ; je note, dans le carnet 32, p.27

Les fruits
comme de formidables sources lumineuses
attirent
puis dévorent notre regard
Deux mouvements, deux lectures ici se croisent :
allons-nous, de nous-même, vers la toile
attirés et intrigués par un suc qui bientôt devra vivre dans nos veines ?
Ou est-ce la peinture en entier qui nous appelle (à moins que ce ne soit un simple point
sur la toile ?) nous détournant de notre chemin ordinaire et qui se décide
de lui-même, au bon moment, à venir nous chercher
voire à nous attraper ?

Je m’approche
je me déplace ; je regarde —

L'œil de l'une des deux pommes me suit ; le jaune
du citron m'embrasse ; la pêche
râpe silencieusement mes lèvres depuis le scintillement de ses duvets
et, surtout, la profondeur coupante de l'assiette bleue
me rappelle ces fonds marins
observés depuis une grève où s'entremêlent
galets, roches et algues laminaires
mélangés aux âpres odeurs océaniques…

Nature morte, sur assiette — composition
minuscule
en un coin de table ;
composition picturale (un peu d’eau, un peu d’huile
un peu de couleurs) qui ouvre, pourtant
l'esprit sur des confins

Quelques fruits peints
déjà passés ; les peaux se fripent, se dessèchent
mais l’effet que me fait cette image est d’être atteint
au plus profond de moi-même
par le réel

Si le réel est donné, au travers de l’œuvre, dans sa simplicité
et ses splendeurs (à cette expresse condition que l’artiste jouisse d’une technique
ayant dépassé la technique)
il nous en dit plus que toute tentative de le décrire
de l'extérieur

De la vie nous est donnée —

De la vie est donnée à la vie (à qui accepte, bien sur
de recevoir la vie) au travers d'une main artiste
active et riche - compréhensive -
par l'intermédiaire d'un œil qui, pourtant, c’est un fait
a déformé le dehors pour nous le ramener

Un œil qui a vu —

De la vie : affirmée au plus haut
par une pensée, par une technique et surtout
une poétique

Une poétique ayant su se saisir de la réalité de la façon la plus juste qui soit ;
réalité en quelque sorte conduite jusqu'ici, sur cette toile
- à moins qu’il n’ait été à proprement parler engendrée ? - et pour toujours
(puisque la peinture est définitivement fixée en tant qu'image)
et ce, en se servant d'un simple pinceau de soie
d'un morceaux de drap, de tissu, de bois ou de carton
et d'un peu de couleurs
sciemment mélangées et agencées

De la vie qui autrement (sans une telle facture
associée à un regard authentique
ou plutôt à un cœur artiste ne se nourrissant que de l’essentiel)
serait restée sans vie — inutile copie
aussi creuse qu'une assiette à soupe strictement utilitaire

Mais quelle est la disponibilité de celle ou de celui qui regarde
pour apprécier cela ?

Et surtout : qui est-il celui qui a trouvé une telle passe
dans sa palette (la palette précise de ses gestes
accolés au filet de sa sensibilité) ? Qui est-il
pour laisser se ramifier, puis se propager, dans son œuvre
- entre nous et son œuvre -
un tel souffle ?

N’est-ce pas cette circulation enfin advenue entre les choses - entre les êtres -
et portée par un geste artistique exact
qui révèle, avec un magnifique accent d’évidence
(et non sans que nous devinions qu’une telle expérience
nous accole aux vertiges d’un gouffre) ce qui, dans l’art
- lorsqu’il y a œuvre - est primordial : à savoir
la faculté de laisser émerger le vivant ?
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