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Citation de Jemo


Ce soir-là, intronisé auprès de la population du village et débarrassé de mon mentor, je me sentais enfin chez moi. Plein de bonne volonté pour ma nouvelle tâche qui me convenait d’autant mieux qu’elle n’était pas exclusivement militaire, j’étais prêt à m’endormir rapidement sur mon nouveau lit de camp au matelas de laine —!un privilège d’officier, les autres devant se contenter de paillasses. Nous dûmes cependant exceptionnellement retarder le moment de nous coucher!: les chiens de Bou Arfa se mirent plusieurs fois à aboyer et ceux du poste à leur répondre. Un chacal rôdait-il dans les parages ? Comme ils insistaient, nous rejoignîmes à plusieurs reprises les sentinelles dans leur blockhaus. Mais la nuit était trop sombre pour que nous fussions en mesure de distinguer quoi que ce soit au-delà de la ceinture de barbelés qui entourait le poste. Le pinceau lumineux de nos lampes- torches n’éclaira faiblement que salades, pois chiches et pieds de courgettes. Vers 23 h, nous allions nous mettre au lit quand éclata la pétarade. Ce n’était pas un feu d’artifice. J’avais connu cela à Cherchell, de loin. Ici, c’était directement sur nous qu’on tirait. Tagada, pan-pan! Pendant quelques minutes qui me parurent interminables, ce fut un festival de tirs d’armes automatiques, de coups de fusil et de jets de grenades pendant que nos hommes, brutalement tirés du premier sommeil, se préparaient à riposter. Ignorant où l’on était exposé et où on était à l’abri, je me retrouvai assis par terre dans la salle de quart, le téléphone à côté de moi, appelant désespérément à l’aide le PC du bataillon. «Ne vous affolez pas, on arrive». Il fallut quand-même une demi-heure au sous-lieutenant cyrard, le casque de tankiste sur la tête,pour se pointer dans l’EBR du 2/22, en Zorro des temps modernes. Cela faisait longtemps que tout était fini. Après quatre à cinq minutes de répit, nos assaillants avaient encore lâché quelques rafales avant de détaler silencieusement et de disparaître dans la nuit.
Sept mois plus tard, j’appris incidemment à la SAS de Marnia le danger auquel nous avions échappés cette nuit-là. Un «!rallié!» avait mangé le morceau : nos agresseurs n’étaient pas cinq ou six, comme nous l’avions pensé, mais une trentaine -—alors que nous n’étions qu’une vingtaine dans le poste. Commandés par un capitaine, avec la complicité d’un de nos «goumiers» (je ne sus jamais lequel), ils devaient nous surprendre dans notre premier sommeil, nous liquider tous et s’en aller en emportant nos armes et nos munitions. Les aboiements des chiens, nos rondes répétées, la lueur inquisitrice de nos lampes les avaient amenés à penser que leur projet était éventé et que nous les attendions de pied ferme. C’est pourquoi ils s’étaient contentés d’un baroud d’honneur avant de décrocher.
Mais pour lors nous ignorions tout cela. Le harcèlement n’avait blessé personne et fait aucun dégât : tout juste quelques impacts de balles dans les murs, deux carreaux cassés, une grenade non explosée dans la cour et d’autres au-delà du poste, que nous fîmes sauter dans le jardin. Elles auraient pu faire du mal si les lanceurs avaient été plus compétents. On nous assura que ce n’était qu’un incident bénin, le seul depuis un an, et que nous n’avions rien à craindre : la région était définitivement pacifiée. J’étais loin d’en être convaincu et dès le lendemain, j’entrepris d’améliorer la défense du poste. Je doublai le réseau de barbelés. Je renforçai la chicane contrôlant l’accès aux arrières ombragés de l’école. J’installai des mines éclairantes. Le PC me refusant les sacs de sable que je réclamais, ce fut le collègue d’un poste voisin qui me les fournit. Mais il ne fallait pas donner l’impression de se barricader. Pas question d’abattre des arbres, par exemple, pour dégager un plan de tir... Cela n’empêchait cependant pas mes supérieurs d’organiser ce qu’on appelait «l’autodéfense» du village. Quelques hommes, auxquels on confiait de vieux fusils Lebel de la guerre de 14 et quelques cartouches, percevaient 400 F par jour (2000 F par mois) pour monter la garde au-dessus d’un silo à grain dressé à l’opposé du poste où ils s’enfermaient pour la nuit . Prudents, ils ne virent jamais rien, n’empêchèrent jamais rien et rendirent régulièrement chaque matin armes et munitions. Leur rémunération était l’objet d’une magouille. Seuls quelques-uns d’entre eux remplissaient les conditions pour être officiellement recrutés. On globalisait leurs soldes et l’on répartissait également la somme entre tous. Comme aucun ne savait lire ni écrire, il suffisait de leur faire apposer une croix au bas d’une feuille d’émargement dont ils ignoraient le libellé et le tour était joué. Le jour où je demandais à mes supérieurs un ordre écrit pour procéder à cette manipulation, je me fis vertement rembarrer par le capitaine-adjoint et je n’obtins évidemment pas satisfaction mais on s’arrangea un peu plus tard pour que je n’aie plus à affronter ce genre de cas de conscience!...
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