Jean-Pierre Goubert

L'ouvrage historique La Conquête de l'eau, sous-titré L'avènement de la santé à l'âge industriel, est dû à la plume de l'historien Jean-Pierre Goubert, spécialiste de l'Histoire de la médecine, des médecins et des maladies, notamment au XVIIIe siècle. On lui doit notamment "Médecins, climat et épidémies à la fin du XVIIIe siècle", "La Médicalisation de la société française, 1770-1790" (livres que je n'ai pas lus) et aussi "Les Cahiers de doléances des médecins, chirurgiens et apothicaires, 1789, le corps médical et le changement" que j'ai lu (mais que j'ai perdu) et qui est, par son angle d'étude original, un "must" pour toute personne s'intéressant à la Révolution française.

Dans La Conquête de l'eau l'auteur décrit aussi une révolution, révolution mentale, sociétale qui bouleverse la médecine, l'hygiène, la vie quotidienne, par le nouveau rapport à l'eau qui change radicalement la vie entre (grosso-modo) la deuxième partie du XVIIIe siècle et la Première Guerre mondiale. Jean-Pierre Goubert explique avec force détails que cette "conquista" (c'est le mot qu'il utilise page 32) n'est pas limitée aux Grandes Eaux de Versailles et à la classe dominante. Dès le XVIIIe siècle l'eau est analysée par le savoir scientifique et "l'on réfléchit aujourd'hui quand on en boit un verre, ce que ne faisaient pas nos ancêtres insouciants."

L'eau est une quête depuis toujours. Elle devient une conquête pour les premiers ingénieurs en hydraulique qui remplacent (mais pas toujours) les anciens sourciers. Des lavoirs communaux "modernes" prennent la place, peu à peu, des lessivages à la mare d'à-côté, mare souvent paludéenne. Les salles de bains privées se démocratisent : par exemple en 1840 "le préfet de la Nièvre est le seul à (en) posséder (une) dans son département" mais l'apparition des "Bains à quatre sous" destinés au peuple quelques années plus tard indiquent bien que l'hygiène se répandait dans toutes les classes de la société.

L'auteur décrit avec vivacité l'intérêt très capitaliste des financiers pour cette conquête de l'eau, dès le XIXe siècle. L'eau, produit absolument incontournable, gratuit dans la nature, mais coûteux et rémunérateur dans sa distribution, a aiguisé les appétits des milieux d'affaires et "la Compagnie Générale des Eaux constitue la première grande société capitaliste française". Curieusement ce ne fut pas à Paris mais à Lyon que fut en premier résolut le problème du traitement et de la distribution de l'eau dans une grande ville. Paris renâclait et s'embrouillait dans ses comptes et ses cahiers des charges pour l'eau (rien n'a vraiment changé, dans cette municipalité-là). A Lyon "le cahier des charges avait été dressé avec soin... Les travaux furent rondement menés, et la distribution de l'eau put commencer au cours de l'année 1856."

La Conquête de l'eau se lit avec aisance car il s'agit d'une sorte d'épopée de l'indispensable. Les différentes étapes de cette conquête de l'eau sont intelligemment mises en lumière avec une multitude de détails, souvent pittoresques, et de références historiques qui éclairent cette conquête sans alourdir le texte ou la compréhension. Ce livre nous rappelle que l'évident "avoir l'eau chez soi" est une évidence qui a été conquise pas-à-pas.
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