Si l’Église catholique dans son ensemble n’était guère mieux disposée que la Maçonnerie à recevoir le message de la Tradition, que dire du monde « intellectuel » ! On trouvera dans l’intéressant ouvrage de Jean Biès - Littérature française et Pensée hindoue des origines à 1950 - une consternante anthologie de l’incompréhension occidentale, dont nous extrairons ces quelques perles du plus bel... orient : « Dès 1919, Valéry, qui a le mérite de discerner la pluralité des civilisations et de les découvrir mortelles, n’en célèbre pas moins l’Europe, ce « petit cap du continent asiatique », comme bien supérieure au continent entier. L’Europe est « la partie précieuse de l’univers terrestre », le « cerveau d’un vaste corps » ; le reste de l’humanité étant constitué par « les nègres variables et les fakirs indéfinis ». Écho lointain de Gobineau, Valéry explique le miracle européen par la « qualité de sa population ». Que l’on mette dans le plateau d’une balance l’empire des Indes, dans l’autre plateau, le Royaume-Uni, c’est celui-là qui penchera ! L’Europe est synonyme d’activité, curiosité intellectuelle, imagination et logique équilibrées, scepticisme non pessimiste, mysticisme non résigné. Héritière de la Grèce, de Rome et du Christianisme, elle est ce lieu privilégié de la culture, de la science, du progrès et des « réalisations ». »
L’incommensurable naïveté des « penseurs » de l’Occident, infatués d’une bien illusoire supériorité, s’aggrave, lorsqu’ils sont chrétiens, d’un étonnant manque de « charité »... On croit rêver en entendant Claudel refuser « la nuit abominable » des « brahmes, bonzes, philosophes », ou comparer « le trois fois infâme Bouddha tout blanc sous la terre », à un « Ver immonde », ou déclarer, enfin, que : « Rien mieux que (la pensée hindoue) ne saurait nous aider à réaliser les conditions constitutives (de l’enfer) ». Et Jean Biès de s’interroger : « Claudel n’aime pas l’Inde, il n’aime pas l’hindouisme, il n’aime pas son frère hindou. A voir tant de mépris et une telle sûreté de soi, l’on se pose la question : l’un de nos plus grands poètes chrétiens, et peut-être le plus grand, était-il vraiment chrétien ? Claudel écrase ce qu’il ignore, il le fait avec fanatisme. Cette partie de son œuvre n’est assurément pas la meilleure, elle n’augmente pas sa gloire, ni ne sert l’Église qu’il prétend servir.
De l’Inde, « noire damnée » de Claudel, aux caricatures d’hommes que sont pour Teilhard de Chardin les yogin, ces « esprits infernaux », c’est le même mépris qui se manifeste, et c’est encore l’Esprit qui est outragé, par l’agitation ratiocinante d’un Occident qui se complaît irrémédiablement dans la rassurante illusion de ses jeux vains. Moins haineux toutefois que Claudel, Teilhard de Chardin intègre ses « impressions de voyage » à son hasardeuse cosmogonie, et imagine la « synthèse en le Christ cosmique des deux formes d’adoration qui se partagent l’humanité : christianisme d’une part, et, de l’autre, ce qui est récupérable dans les « panthéismes humanitaires » ». On pourra s’étonner que ces « panthéismes humanitaires » (et à condition bien sûr que la sempiternelle et absurde accusation de panthéisme eût encore un sens quelconque pour ceux qui en faisaient un épouvantail) fussent contredits par le reproche adressé à l’« âme asiatique », d’avoir séparé l’Un et le Multiple, de les avoir même opposés en considérant que « l’Unité s’obtient en niant et détruisant le Multiple », tant il est vrai que la pensée schématique de l’Occident, irréductiblement dualiste, ne s’exprime qu’en termes d’opposition et de destruction, là où il n’y a en fait que synthèse et intégration. (pp. 166-167)