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Citation de jsl


jsl
20 décembre 2013
Le chant du Muezzin vint le tirer de son sommeil, il ouvrit les yeux et contempla les grains de poussière qui brillaient dans les premières lueurs dorées de l’aube.
Au loin, sur d’autres minarets, les haut-parleurs reprenaient en écho la prière du matin, donnant à l’oreille les dimensions de la ville et la faisant pénétrer tout entière dans sa modeste chambre.
Il observa par la fenêtre la multitude des toits qui descendaient vers la mer en contrebas, une marée blanche se perdant dans l’immensité bleue.
Depuis les trois semaines qu’il était là, chaque matin était une nouvelle bouffée d’émerveillement, de dépaysement, l’impression que son réveil était le début d’un rêve dans lequel il flottait, sans limites aux impressions, aux possibilités…
Le parfum des pins qui offraient dans le jardin une ombre bienfaisante, se mélangeait à celui de la mer pour emplir ses poumons tandis qu’il s’étirait.
Il se leva et fit sa toilette. Depuis la cuisine en dessous, lui parvenaient les bruits de préparatifs du petit-déjeuner qu’on allait servir sous la tonnelle.
Il descendit et salua les convives déjà installés sur plusieurs petites tables rondes disposées sous les branches de vigne qui recouvraient la terrasse. Il acheva de se réveiller en buvant un café, se délectant à la vue de la pâtisserie aux pistaches et aux figues qui attendait dans son assiette, soupirant de plaisir sous les rayons dansant de lumière qui filtraient par petites taches mouvantes entre les feuilles au-dessus de lui.
Il finit son petit-déjeuner, traversa le jardin, et passant le portail, s’immergea dans la clameur de la ville. La cloche d’un tram se fit entendre, il s’écarta de son chemin et descendit la rue dont l’enfilade de maisons se terminait sur les reflets lumineux de la mer. Il marcha un long moment sur le quai, respirant l’air iodé, contemplant les mouettes qui planaient dans le vent matinal, profitant par tous ses sens de son dernier jour de vacances en ces lieux.
Il avisa un peu plus loin l’entrée du grand bazar, il se perdit dans cet océan de bruits et de cris, de lumières chatoyantes de services à thé pour touristes, dans les grands drapés de tissus séparant les stands entre eux, la cohue, les embouteillages humains…
Il regardait sur un étal un échiquier finement marqueté, quand il sentit qu’on le tirait par le bas de sa chemise. Un gosse des rues se tenait là devant lui, l’œil malicieux et les cheveux en bataille.
— Tu dois venir avec moi ! Le conteur t’a vu, et il m’a dit que tu devais venir le voir, viens avec moi.
Il le tira à nouveau par la chemise, cherchant à l’entraîner derrière lui.
— Holà doucement bonhomme, c’est qui ce conteur dont tu me parles ? Je parie qu’il a quelque chose à vendre, c’est ça ?
Le gamin le regarda indigné.
— Le conteur il s’en fiche de ton argent, c’est un magicien, il peut avoir tout l’argent qu’il veut ! Il t’a vu et il m’a dit, tu dois le ramener, alors moi je te ramène ! Il veut te dire quelque chose. Tu dois pas avoir peur, il est honnête, et il est bon avec tous.
Il se laissa guider par l’enfant, se disant qu’il ne risquait pas grand-chose au milieu de toute cette foule. Ils tournèrent dans une allée, puis dans une autre et encore une autre, se retrouvant le long du mur même du bazar. Une discrète petite porte était ouverte dans la maçonnerie, et on apercevait dans une pièce minuscule des montagnes de tapis, de tables basses et de plateaux en cuivre gravé. Il se dit que le petit devait certainement servir de rabatteur au marchand, dont la boutique se trouvait un peu trop loin des artères principales du bazar pour faire des affaires, et décida d’entrer dans l’échoppe pour acheter un souvenir.
Le parfum des huiles se consumant dans les lampes donnait un goût épicé à l’atmosphère, c’était un véritable capharnaüm d’objets, plus encore qu’il n’avait cru depuis l’extérieur. Il avait l’impression d’entrer dans une caverne au trésor, s’attendant presque à voir un djinn sortir d’une lampe. Il sursauta en lâchant un petit cri quand une forme apparut effectivement d’une porte dissimulée derrière un rideau.
— N’ayez pas peur, vous n’êtes pas tombé dans un guet-apens, je ne suis qu’un vieillard, je ne pourrais guère vous faire de mal !
Le ton était amusé, et il se sentit un peu ridicule d’avoir l’esprit aussi plein de préjugés et d’images toutes faites. Le vieil homme poursuivit.
— Mais asseyez-vous, je vous en prie, peut-être prendrez-vous un peu de thé ?
— Oui, avec plaisir… Le garçon m’a dit que vous vouliez me voir, j’imagine qu’il dit la même chose à tous les touristes qu’il croise ?
Le vieillard finit de servir le thé, s’assit, et leva d’un air songeur le verre fumant devant son visage. Son regard s’absorba au loin, dans les épaisses volutes d’encens qui faisaient vaciller en montant la flamme d’une lampe suspendue, projetant des ombres étranges autour d’eux, faisant passer des fantômes sur leur visage. Quelques instants s’écoulèrent et il commença à se demander, mal à l’aise, s’il ne ferait pas mieux de partir. Le vieil homme le regarda alors droit dans les yeux, et il eut l’impression que ce regard à l’étrange acuité, pouvait lire au plus profond de son âme… Il sursauta une nouvelle fois quand celui-ci rompit le silence.
— Puis-je vous demander quelque chose ? En quoi croyez-vous ?
Décontenancé par la solennité avec laquelle le marchand avait posé sa question, il porta le verre à ses lèvres mais le reposa aussitôt, grimaçant sous la chaleur du thé.
— Vous voulez savoir de quelle religion je suis ?
Le vieillard esquissa un sourire.
— Non, je ne veux rien dire d’autre que ce que j’ai dit, en quoi croyez-vous ?
— Eh bien, je ne sais pas trop… J’ai toujours pensé qu’il valait mieux savoir et agir plutôt que croire et espérer…
Le sourire du vieillard s’élargit.
— Alors vous avez l’esprit en permanence dans le présent, c’est une bonne chose, mais souvenez-vous de ceci ; savoir et croire sont aussi importants l’un que l’autre… Savoir et agir sont dans le présent, mais la compréhension et la sagesse sont hors du temps…
En disant ces mots, l’homme s’était levé pour aller prendre une petite boite très finement ciselée sur une étagère au-dessus d’eux.
— Je voudrais vous faire un cadeau, ce n’est pas grand-chose, mais j’espère qu’une fois rentré chez vous, cela vous fera toujours penser à notre beau pays et à ce que je vous ai dit…
Il ouvrit le couvercle, et sortit du coffret une chaînette dorée à laquelle était accrochée une petite pierre transparente enchâssée dans une médaille.
L’homme sourit en voyant le marchand lui passer le collier autour du cou, et se dit que toute cette mise en scène valait bien quelques pièces. Il se leva et commença à fouiller dans son portefeuille à la recherche d’un billet, mais quand il releva la tête, le vieil homme avait disparu. Il attendit un instant, lança un « Vous êtes là ? » hésitant, s’approcha de la tenture par laquelle le vieillard était arrivé, la souleva, mais la porte derrière était fermée à clé…
Après quelques instants, il se dirigea vers l’entrée, l’animation du marché déchira l’atmosphère d’étrangeté dans laquelle il se trouvait. Il revint sur ses pas, déposa un billet dans le coffret, et quitta le magasin mal à l’aise…
Il se promena un long moment sur le port, profitant de ses derniers moments de calme, il déjeuna d’un poisson grillé dont le parfum devant l’étal lui avait mis l’eau à la bouche. Il prit le tram et s’offrit un dernier tour de la ville, profitant de l’occasion pour sacrifier à la tradition du touriste, et mitrailler tous les monuments devant lesquels il passait.
De retour à la pension, il monta faire ses valises, puis redescendit s’installer sous les pins pour y somnoler. L’air chaud de l’après-midi transportait le parfum capiteux des fleurs alentours. Allongé dans un transat, bercé par le bourdonnement des abeilles, le bruissement léger des feuilles dans la brise, par les sons enchevêtrés de la marée humaine de l’autre côté des murs, ce flot sonore seulement entrecoupé au loin par les sirènes des bateaux dans le port marchand, discussion d’animaux fantastiques à l’orée du monde, il s’endormit.
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