Lucien Guitry jouait dans un théâtre dont les frais étaient couverts par un mécène dont le snobisme était le moindre défaut.
Le mécène depuis longtemps caressait un rêve fou : se montrer à déjeuner chez Maxim's avec Lucien Guitry qui était une légende.
Avec la même obstination, l'acteur se refusait au fantasme du raseur.
Un soir, pourtant le mécène qui venait à nouveau de signer à l’ordre du théâtre un chèque qui ne prêtait pas à rire, parvint à arracher en échange, une promesse à Guitry : ils déjeunerait ensemble, chez Maxim's, vendredi à midi et demi.
A peine rentrer dans sa loge, Lucien Guitry se tourne vers son habilleuse et lui jette à très haute voix :
- Vous allez envoyer sur-le-champ à cet épouvantable raseur, un petit bleu chargé de lui faire savoir sans mâcher les mots qu'il n'est pas question, pour moi de déjeuner avec lui chez Maxim's, à midi et demi...
A ce moment, derrière lui, dans la glace de l'habilleuse, il aperçoit le raseur qui a oublié ses gants dans la loge et qui revient les chercher.
- ... parce que ce jour là, précisément, poursuit Guitry, ce jour là, précisément...
Et montrant dans un grand geste, le mécène pétrifié, il achève enfin sa phrase :
- ... je déjeune avec Monsieur.
.../...
Et quelle est cette chute ? demanda Gabriel.
- Le vendredi, à dix heures du matin, le mécène reçoit un petit bleu de Guitry :
"Vous avez été témoin mon cher ami, des efforts que j'ai déployé pour me débarrasser du raseur qui voulait m'empêcher de déjeuner avec vous, chez Maxim's, aujourd'hui, à midi et demi. Il s'obstine, hélas ! Il insiste. Il ne veut pas me lâcher. J'ai du céder : je ne pourrais pas déjeuner avec vous, chez Maxim's, aujourd'hui à midi et demi."