Bref, il m’arrive de regretter la douce époque où les tatoueurs étaient considérés comme des marginaux : au moins, en ce temps-là, quand quelqu’un prenait son courage à deux mains pour franchir la porte, c’est qu’il voulait vraiment un tatouage. Pas besoin de jouer les commerçants, de vendre notre soupe. Limite, avoir un caractère de chiotte, ça faisait presque partie du truc !
C’est paradoxal de voir des gens dépenser sans compter pour une télévision dont la durée de vie dépasse rarement cinq ans (ça s’appelle l’obsolescence programmée) et chipoter pour dix euros lorsqu’on parle tatouage, alors qu’ils seront, normalement, enterrés avec!
le sans-gêne : il a rendez-vous dans trente minutes, dans un autre studio, avec un autre tatoueur. Doté d'une mémoire de poisson rouge (qui passe cent fois par jour devant le petit scaphandrier qui fait des bulles avec son casque et se dit "tiens, c'est joli par ici !") et d'un sens de l'orientation plus qu'approximatif, le sans-gêne n'hésite pas à venir me baver sur les rouleaux, genre "Ouais, heu, tu ne sais pas où travaille Norbert ?" Soit dit en passant, le bonjour rendu obligatoire par les règles de la politesse, lui, il ne connait pas !
- Non, désolé, je ne sais pas.
- Oui, mais j'ai rendez-vous avec lui et...
S'il savait comme je m'en fous !
Imagine, lecteur, devoir répondre à l’authentique dialogue suivant :
– Ouais heuuuu, je veux un truc sur l’arrière du dos.
– L’omoplate?
– Oui, en fait non, mais pas au milieu.
– Hummmmm, oui, mais plus précisément?
– L’arrière du dos à droite.
– (Soupir) OK, et tu voudrais quoi?
– Ben un tatouage.
– Très bien vu : pour commander une pizza, t’es au mauvais endroit, mais encore?
– Un truc comme le bras du chanteur là !
– Qui?
– Ben le chanteur, t’sais bien?
Les JL (Just Looking, ne sont là que pour regarder car ils trouvent les tatouages vulgaires) sont une race maudite, uniquement destinée à vous faire perdre du temps et à vous pomper l'air ! Aucune porte, aucune pancarte "fermé" ne les arrête, seules comptent la satisfaction de leur curiosité et l'affirmation de leur droit d'être grossier (bon, du coup, moi aussi je suis grossier, j'ai horreur qu'on m'écrabouille les nougats, je les ai sensibles !)