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Citation de Charybde2


Sans la critique, écrit Milan Kundera, toute œuvre est livrée « aux jugements arbitraires et à l’oubli rapide ». Pire, on la confond souvent avec « une simple information sur l’actualité littéraire » – confusion qui, dans le cas des Versets sataniques de l’écrivain Salman Rushdie, entraîna « la condamnation à mort d’un auteur […], et le texte du livre n’avait plus aucune importance, il n’existait plus ». Sans la critique littéraire « en tant que méditation, en tant qu’analyse, qui sait lire plusieurs fois le livre dont elle veut parler, nous ne saurions rien aujourd’hui ni de Dostoïevski, ni de Joyce, ni de Proust ».
Ce diagnostic lucide vaut plus encore pour les littératures dites d' »expression française », enseignées tardivement dans les départements de lettres des universités françaises. L’élection récente de Dany Laferrière à l’Académie française et le recrutement d’Alain Mabanckou en 2016pour la chaire annuelle de création artistique du Collège de France sont une exception qui confirme la règle. Mais cette évolution est d’abord redevable aux essais de Michel Leiris, premier écrivain ethnographe de langue française, notamment Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe (1955), Brisées (1966) et Zébrage (posthume, 1992), et à trois préfaces majeures de Jean-Paul Sartre : l’une, Orphée noir, pour la première anthologie de poètes noirs, éditée par le poète sénégalais L.S. Senghor (1948) ; une autre pour Les Damnés de la terre du Martiniquais Frantz Fanon (1956) ; et la troisième pour le Portrait du colonisé, du juif tunisien Albert Memmi (1957).
Souvent perçues comme périphériques d’un centre légiférant que représenterait la République des Lettres, les francophonies littéraires impliquent des aires linguistiques, plurilinguistiques et pluriculturelles longtemps considérées comme subordonnées à l’empire colonial français, dont elles ont dû s’émanciper pour conquérir, parfois de haute lutte et dans des conditions encore souvent méconnues en France, leur existence littéraire.
Pour ces raisons, ces littératures gagnent à être comprises de deux façons conjointes : comme des Contre-littératures, selon le titre de Bernard Mouralis qui, avant Edward Saïd, montrait que le questionnement postcolonial en littérature devait éclairer le renouveau des études culturelles, et comme des « écritures en deux langues » – ce que sont la plupart de ces littératures. Qu’il s’agisse de redéfinir les genres littéraires et parfois même de les oublier, de repenser la modernité à l’aune d’une oralité multiple, de renverser la notion d’exotisme, de déplacer une notion aussi restrictive que celle de « langue maternelle », la tâche qui s’annonce devrait susciter chez les étudiants un nouveau désir de décentrement, sans lequel toute critique est appelée à se répéter, et à dépérir.
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