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Citation de Wyoming


Ici, sous mes yeux, la rivière est éveillée, elle murmure et marmonne à mi-voix, elle jaillit encore, trace son sillon plein de glace sur le sable et le gravier nus. Mais un jour -- bientôt peut-être ou très tard, au solstice d'hiver, lorsque le soleil s'éloignera de l'horizon au sud -- tout ce jaillissement, ce grincement, ce déchirement, ce piétinement, tout cela cessera. Avec la neige viendra le grand silence -- et l'on entendra cet autre son de la glace qui équivaut presque au néant. Ce cours d'eau sera enfin comblé, la dernière veine d'eau figée, et la rivière se fera souterraine. La neige en rafales viendra couvrir la glace sur laquelle je me tiens.
Si je devais cheminer ici vers le milieu de l'hiver, le seul bruit que j'entendrais sans doute serait le vent qui dissémine la neige à fleur de glace. Ce n'est que de temps à autre, en marchand sur les hauts-fonds gelés, que j'entendrais sous mes pieds un filet d'eau se frayer tant bien que mal un chemin dans la glace. Plus tard encore, lorsque celle-ci fera plusieurs pieds de haut, comblant l'affluent le plus vaste, il se peut que j'entende tout au fond d'une crevasse enneigée le murmure et la houle profonde de la rivière qui court sous mes pieds.
Car la glace et la rivière sous la glace ne restent jamais très longtemps immobiles. Encore et encore, durant ce long hiver, l'eau se fraiera un chemin vers la surface. Elle creusera une veine liquide, d'où elle surgira pour se répandre à la surface de glace et de neige avant de geler de nouveau, formant une strate fragile. Le vent apportera sa charge de neige poudreuse pour polir la glace brute, lui donner un lustre sauvage. Des fleurs délicates de givre viendront éclore à sa surface, légers pétales recroquevillés sur la glace grumeleuse, que balaiera le premier souffle de vent. Et sur cette étendue de glace neuve, le silence se fera de nouveau, le silence de la glace, inchangé depuis le premier hiver sur Terre.
Mais tout ceci reste à venir, aujourd'hui comme hier. L'hiver se met en route dans la contrée, par monts et plaines, marécages et plateaux, à travers lacs et bassins, affluents et embouchures. Il a cheminé lentement cet automne, d'un pas égal, majestueux, gagnant un peu de givre chaque nuit, perdant un peu de chaleur chaque jour. En attendant, l'eau profonde de la rivière coule à mes pieds, lente et chargée de glace, et le son profond de cette eau remplit le paysage tout autour de moi.
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