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Citation de Charybde2


Ceci est l’histoire d’un naufrage tragique : le mien. À l’origine, mon obsession était concentrée sur la première ligne verticale et un lieu commun des amateurs de mots croisés. Si je parvenais à la remplir je pourrais à coup sûr finir de rédiger en temps voulu l’article « Héritage d’Isaac Peral » de la Nouvelle encyclopédie de la mer. C’était ma contribution secrète pour fêter avec dignité le centenaire de sa naissance, sortir de l’atrophie des prétendues valeurs supérieures et des ambitions démesurées qui nous dominent.
Jusqu’à la semaine dernière j’ai travaillé à la Poste centrale, située dans la zone portuaire face au rocher de Gibraltar, le djebel Tariq, mon panorama de référence quotidien. C’est de là qu’émergeait le périscope ennemi qui me surveillait, de là qu’étaient lancées les torpilles hostiles de ceux qui cherchent à me détruire. Au début (j’ai commencé très jeune, pistonné par un oncle qui était facteur ; en ces années d’impunité ce coup de pouce a suffi pour m’y faire entrer sans que j’ai à passer des examens fastidieux), j’ai attendu non sans impatience la mise en service de la machine à oblitérer. Un beau jour, elle est arrivée. Personne ne nous avait prévenus et rien n’a vraiment changé dans notre routine de fonctionnaires. Cela fait maintenant des années qu’elle oblitère le courrier. Toutes les enveloppes sans exception. Celles des formulaires à remplir en caractères d’imprimerie ; des relances d’impayés ; des documents officiels ; des décrets ministériels ; des documents de propagande ; des prospectus médicaux et financiers ; des factures d’entreprises ferroviaires adressées à des sous-traitants ; de la correspondance familiale violée en provenance de France, des imprimés, des invitations à des mariages, des faire-part de séparation, des lettres anonymes de dénonciation et des menaces de mort rédigées avec des lettres découpées dans les journaux. Elle atteste la date de l’envoi, surtout la date si importante de l’oblitération. Elle a remplacé mon geste répétitif et ma signature sur les recommandés. (« Le sillage de Gibraltar »)
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