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Citation de Domi73


L'Enfant de par là-bas
[Jean-Pierre Cannet]

Scène 1
POLIN, VOIX D'UN POLICIER, UNE SOLANGE, LA CARMEN

Sous un ciel enfumé.
POLIN.– Je devais avoir le début d’un âge, ce qui n’est pas bien vieux. Quand la mémoire se met à faire des glissades sur les tempes. Quand le cœur est gigoté comme une boule à neige. Cette nuit-là, pourtant, il ne neigeait pas. C’était une nuit parmi tant d’autres, on l’aurait dite ordinaire.
Je me souviens des caravanes installées comme toujours sous un ciel provisoire, quand, à l’heure des endormis, les boutons-d’or se prennent pour des étoiles. Il y avait peut-être un chat-huant qui se la racontait, au loin, dans les bois. Il y avait sûrement une bande qui se la claironnait de près, avec des insultes racistes et des menaces de mort, comme quand on sort d’un match ou d’un bistrot. On n’aime pas trop les gens comme nous, c’est bien connu ! Et quand craque l’allumette, ça rigole dans la nuit, ça rigole tout de travers. Alors ça a pris à la vitesse du vent. Quand le feu est en flammes.
L’incendie !
Moi, miracle d’un caprice, je dormais cette nuit-là au fond de la camionnette de La Carmen, ma grandmère. Mes parents n’ont eu le temps de rien, pris dedans, dans leur ventre de caravane. Le sort s’est acharné, avec tous ses doigts de feu. On a beau jeter des seaux d’eau, on dirait que le feu a soif. Les dernières braises du cœur résistent. À la fin, le feu épuise le feu et c’est fini. Au matin, c’est un triste matin éclaboussé de cendres. Les pompiers s’en vont. La police parlera d’une bouteille de gaz ou d’une poêle oubliée sur la braise. Il n’y aura pas d’enquête.
Avant de partir, un policier a dit :
VOIX D’UN POLICIER.– Et pas d’embrouilles, on vous a à l’œil !
POLIN.– On a enterré ce qu’il restait d’eux, mes parents. Oh ! pas grand-chose, le petit charbon triste de leurs os noircis. Pourquoi on enterre les morts? Le spectacle est court. Si on les accrochait aux branches des arbres, les morts pourraient discuter avec la pomme ou la nèfle. Et se balancer à la moindre bise.
UNE SOLANGE.– Qu’est-ce que tu racontes encore, tu discutes avec qui ?
LA CARMEN.– Laisse-le donc un peu tranquille, tu vois bien qu’il se parle à lui-même!
POLIN.– Maintenant je vis avec mes deux grandsmères. L’une est ronde et claire, elle a de la hanche. De son sein bas, on dirait qu’il va gicler de la bière. Toute sa graisse danse quand elle rit. C’est Une Solange, ma grand-mère! L’autre, museau pointu, avant c’était une apprivoiseuse de vertige, maintenant on dirait un chien efflanqué qui a peur de son ombre. On dirait comme une princesse défunte. C’est La Carmen, mon autre grand-mère. Elle est belle comme un canif !
LA CARMEN.– Je sens que tu vas me demander de te raconter encore!
POLIN.– Oui, s’il te plaît!
Tandis que parle La Carmen, l’ombre d’une funambule se balade.
LA CARMEN.– Alors je suis tombée. Pourtant j’avais confiance, j’écoutais le grand silence. Je sentais le fil sous mes pieds comme une avenue qui mène au ciel. Le fil, on le conquiert pied à pied. Et puis je ne sais quel faux pas ou quelle erreur de balancier? L’impression que le plafond, lui aussi, dégringole
d’un coup. C’est haut, forcément, quand on tombe. Le jour devient la nuit. Et c’est lourd un corps qui tombe. Le soleil est une pierre. Il y a plein de bouches sous le chapiteau du cirque. Toutes ces bouches rondes qui crient à l’unisson : Oh!
POLIN ET UNE SOLANGE.– (en chœur) Oh!
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