Laurent Douzou

Dans ce contexte, le travestissement est loin d’être un divertissement anodin. Intervenant dans une société où les normes de genre se cristallisent autour de la peur de l’inversion, il apparaît entouré d’une réprobation spécifique. Le désir manifesté par un homme d’incarner une femme est en effet considéré comme pathologique. La littérature médicale, qui associe efféminement et homosexualité masculine, identifie ainsi très clairement le travestissement comme l’une des manifestations cliniques de l’homosexualité, considérée comme une perversion sexuelle.

Le docteur Magnan, dans le Bulletin de l’Académie de médecine en 1913, dans une étude sur « Inversion sexuelle et pathologie mentale », décrit l’un de ses patients, caractérisé par un « amour obsédant de l’homme qui le poussait à en rechercher le commerce à l’exclusion de l’autre sexe », comme un homme recherchant « les occupations féminines et aimant revêtir une robe traînante ».

Dans cette optique, certains praticiens considèrent que lutter contre le travestissement permettrait de lutter contre l’homosexualité. C’est bien ainsi que l’entendent les contributeurs du Bulletin de la société d’anthropologie de Lyon, pour lesquels il faut « redouter chez les petits garçons le goût de la parure » et « tous les travestissements, tout ce qui donne à l’enfant le sentiment d’être une petite fille ». On voit ici le rôle structurant du vêtement dans la construction et l’expression des identités sexuées et sexuelles jusque dans les écrits médicaux qui contribuent à en construire la norme. L’homosexualité dans les lieux et les contextes homosociaux – comme le front, communauté d’hommes coupés des femmes – est en outre toujours présente comme possibilité et toujours agitée comme menace.