Laurie Colwin

Notre hôte nous a accueillis à la porte. C’était un individu maussade (...), il nous a emmenés dans une grande pièce nue où la table était dressée pour six personnes. Il n’y avait pas d’odeurs ni de bruits de cuisine. Deux autres invités étaient assis dans des chaises et semblaient espérer des hors-d’œuvre. Il n’y en avait aucun.
« Je ne pense pas qu’il y aura assez », a annoncé notre hôte, comme si nous étions responsables d’être si nombreux. D’habitude, ce n’est pas le genre de choses qu’un invité a envie d’entendre, mais au final ça a plutôt été une bonne nouvelle.
Nous avons bu un vin franchement minable, et lorsque nous en étions presque rendus à nous dévorer les uns les autres, on nous a dit de passer à table. L’hôte a placé une assez petite casserole au centre. Nous y avons jeté des regards pleins d’espoir. Il a soulevé le couvercle. « On ne regarde pas », a-t-il dit.
Habituellement, quand on soulève le couvercle d’une casserole qui sort juste du four, une vapeur parfumée s’en échappe. Pas cette fois-ci, même si je n’ai pas compris immédiatement que cette casserole ne sortait pas du four, mais qu’elle était restée à l’extérieur du four pour refroidir et développer une potentielle salmonellose.
Voici ce que nous avons mangé : la casserole contenait une couche de riz partiellement cuit, une couche de tranches d’ananas et une couche de saucisses de petit-déjeuner, le tout ayant été cuit dans un liquide indéfinissable. Chaque personne a reçu une tranche d’ananas, une saucisse et une grosse pile de riz croustillant. Nous avons mangé dans un silence parfait, d’abord à cause du choc, puis en raison de la surprise, et enfin sous le coup de la gratitude de savoir que non seulement il n’y avait pas suffisamment de nourriture, mais que rien d’autre n’avait été prévu. C’était tout le repas.