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Citation de MegGomar


Pour les jeunes garçons, l’attrait que représente la compagnie des mâles,
mêlé à la crainte de développer une intimité trop intense envers leurs
confrères, est à l’origine d’une forte tension. Ce mélange d’attraction et de
répulsion crée un dilemme qui, faute d’être résolu, les incite à demeurer sur
le qui-vive entre pairs. C’est ce que souligne Daisy Letourneur : « Il y a
évidemment une tension sous-jacente dans cette impitoyable fête à la
saucisse. Fréquenter les hommes, admirer les hommes, glorifier leur corps
musclé dans l’effort sportif est tout à fait acceptable et normal. Vouloir le
toucher est prohibé. Il faut absolument dresser un mur entre nous et la suite
logique de nos affections. Parce que, pour faire court, l’homosexuel est le
pénétré, donc le féminin, donc l’inférieur . »
Alors que l’homme est glorifié et les femmes, ramenées à des sujets de
seconde zone, on interdit pourtant aux hommes de s’aimer frontalement ou
charnellement entre eux. Cette incohérence majeure et persistante s’inscrit
au cœur même de nos conceptions modernes. Or, pour l’enfouir et la nier,
notre société a tout intérêt à simplifier les choses en catégorisant les
hommes en deux groupes artificiels : les bons soldats hétérosexuels et les
homosexuels, tous deux nés comme cela. Cette dichotomie est bien
pratique, car elle sert à réguler les liens entre hommes, à masquer cette
tension et ce trouble. Il suffit de penser aux rugbymen et footballeurs
s’écriant : « On n’est pas des pédés » quarante fois avant chaque match
pour constater que ce besoin frénétique d’affirmer haut et fort son
hétérosexualité est un cri expiatoire nécessaire.
De cette tension résultent des comportements tous plus surprenants les
uns que les autres, comme la pratique du gay chicken. Cette tendance
américaine, apparue il y a quelques années, consiste à publier sur les
réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles des hommes se touchent,
s’embrassent, tout en essayant de rester stoïques pour prouver leur parfaite
hétérosexualité… En Russie, il existe même un programme de téléréalité où
les hommes doivent démontrer qu’ils sont hétéros en trouvant le gay caché
parmi eux… Dans cette émission intitulée « Я не гей », qui pourrait être
traduit par : « Je ne suis pas gay », huit candidats s’affrontent pour
convaincre le public qu’ils sont parfaitement hétéros. L’objectif est ainsi de
trouver « l’ennemi » parmi eux, de débusquer l’imposteur avec à la clé deux
millions de roubles (environ 25 000 euros). Pourtant, le magazine Têtu
relève à juste titre « qu’il s’agit probablement du contenu le plus
homoérokitch du pays ! ». En effet, pour prouver leur hétérosexualité, les
candidats se voient mis à l’épreuve et testés. Ainsi, on retrouve
paradoxalement au programme de cette émission homophobe pole dance,
lapdance en slip à paillettes et tee-shirts humides laissant entrevoir des
pectoraux saillants… Et gare à celui qui laissera transparaître une infime
émotion face à ce spectacle haut en couleur. Cette émission semble fasciner
le public russe puisque le premier épisode diffusé sur YouTube a dépassé le
million de vues en moins de trois jours. On rirait presque de l’absurdité de
ce scénario si la situation des jeunes Russes LGBT+ n’était pas
dramatique…
Ainsi, on ne peut nier que l’homophobie prépondérante dans les milieux
masculins hégémoniques traduit un malaise sous-jacent. Nous l’avons
répété, le maintien même du boys club dépend de cette présomption
d’hétérosexualité et il est impensable pour un homme de questionner avec
légèreté la nature des liens qui le lient à la gent masculine. Car transgresser
les règles du boys club, à commencer par celle d’être hétéro, c’est prendre
le risque d’en être exclu, marginalisé, et de se voir déchu d’une partie de ses
privilèges masculins. Or, c’est justement cette peur du rejet et de la violence
des autres hommes qui donne son pouvoir aux bandes masculines et dicte la
bonne conduite de ses membres. Ainsi, dans un premier temps, il s’agit
pour tous les hommes de mettre à distance, d’éventuels désirs homosexuels.
Pour nombre d’entre eux, ces fantasmes sont si enfouis, si inavouables,
qu’ils semblent n’avoir jamais existé. Plus surprenant encore, nombreux
sont les hommes qui entretiennent des liaisons sexuelles, voire romantiques,
avec des hommes, tout en étant intimement convaincus d’être hétéros. Pour
le sociologue américain Tony Silva, « le comportement, l’attraction et
l’identité sexuelle ne sont pas toujours alignés ». Autrement dit, la façon
dont ces hommes se perçoivent est en décalage avec leurs actes et leurs
désirs. Dans son livre Still Straight : Sexual Flexibility among White Men in
Rural America, il s’est entretenu avec une soixantaine d’hommes blancs
vivant dans des communautés rurales aux États-Unis. Tous les hommes
qu’il a questionnés s’identifient comme hétérosexuels, mais indiquent avoir
régulièrement des contacts sexuels avec d’autres hommes, la majorité du
temps en secret. Ces hommes sont intimement convaincus d’êtres hétéros,
peu importent les rapports sexuels et affectifs qu’ils nourrissent avec
d’autres hommes. Mais comment est-ce possible ? Pour la philosophe
Judith Butler, ce phénomène s’explique par le fait d’encrypter son soi
homosexuel. Il s’agit de nier, cacher, enfouir, enterrer et, si besoin, d’expier
les désirs sortant du schéma hétéro. Pour réussir à enfouir ces désirs, il est
nécessaire de ne laisser aucune place au doute, en suivant anxieusement le
script du parfait petit hétéro. Dès l’enfance, cette panoplie du label
« homme hétéro » implique des jouets, des loisirs, une façon de s’habiller,
de marcher, de parler, de se coiffer. Le code de l’homme est réglementé
dans les moindres détails, même (surtout) dans la vie sexuelle intime. La
leçon est d’ailleurs bien retenue par les concernés… En 2022, les deux tiers
des hommes hétéros refusaient catégoriquement que leur partenaire
féminine les pénètre avec un objet , précisément car cela ne colle pas aux
schémas qu’ils ont appris. Ainsi, même lorsque certains entretiennent des
relations romantiques et sexuelles avec des hommes, la remise en question
de leur identité ne suit pas toujours. Dans l’étude de cas mené par Tony
Silvia sur les hommes du milieu rural aux États-Unis, leur point de vue
pourrait se résumer ainsi : « Comment je pourrais être un peu gay alors que
je conduis un tracteur ??? » Ces liaisons restent ainsi secrètes afin de ne pas
ébranler l’identité des sujets, lesquels vont continuer à performer une
masculinité hégémonique pour n’éveiller aucun soupçon dans leur
entourage. Comme le souligne Eva Illouz dans La Fin de l’amour. Enquête
sur un désarroi contemporain, jusqu’à peu « les normes de la conduite
sexuelle étaient considérées comme des codes moraux, les hommes
devaient donner l’impression de respecter ce code, ce qui signifie qu’un
grand nombre de comportements sexuels étaient cachés ou devaient être
intégrés à la perspective du mariage (ou son apparence) . » Or, c’est
précisément parce que chaque homme s’approche plus ou moins de cette
norme mais qu’aucun n’y correspond jamais totalement que ces derniers
craignent autant la remise en cause de leur virilité et de leur légitimité.
Cependant, ces mécanismes ne sont pas toujours conscients chez le sujet.
Pour Tony Silvia, il y a un écart entre les comportements, les relations que
l’on entretient et l’identité sexuelle à laquelle ces hommes s’identifient.
Lors de mes entretiens j’ai par exemple rencontré Simon, un rugbyman, qui
a fini par prendre conscience qu’il était bi seulement à la fac. Pourtant, il
vivait des expériences sexuelles et romantiques depuis l’adolescence avec
des hommes, mais il a très longtemps considéré que c’était là des jeux entre
ados. En raison de sa carrure de rugbyman d’1,90 mètre, il avait du mal à se
concevoir autrement qu’hétéro, notamment parce qu’il était perçu comme
tel en société. Si lui se sait aujourd’hui non hétéro, ce n’est pas le cas de ses
anciens partenaires. Ces derniers, principalement des amis plus ou moins
proches, eux aussi rugbymen, n’évoquent jamais ces relations qui
constituent un puissant tabou.
Observant ce décalage entre l’identité sexuelle/romantique et les
préférences sexuelles, certains coachs et sexologues comme Joe Kort y ont
vu une source de business possible. En effet, leur travail consiste à rassurer
les femmes découvrant que leurs compagnons entretiennent des relations
extra-conjugales avec d’autres hommes. L’objectif de ces coachs est de leur
assurer que leur partenaire est parfaitement hétéro. Sur le site internet de
Joe Kort, on peut par exemple lire ce slogan à destination des compagnes :
« CE N’EST PAS UN TRUC DE GAY, C’EST UN TRUC DE MEC ! Ces
questions et un million d’autres sont probablement en train de vous trotter
dans la tête. Mais devinez quoi ? Vous n’êtes pas seules. De nombreux
types d’hommes s’engagent dans des relations homosexuelles pour diverses
raisons. Veuillez acheter ce guide pour les femmes préoccupées par leur
homme pour en savoir plus . » Parmi les raisons évoquées par le sexologue,
ces hommes seraient en réalité en colère contre leur père pas assez
disponible pour eux, ou trop dépendant au sexe pour se contenter de
rapports hétéros…
Ce flou contradictoire entre ce qui est considéré comme gay ou hétéro,
l’universitaire et féministe américaine Eve Kosofsky Sedgiwck l’explore
brillamment dans ses essais . La découverte de sa pensée fait d’ailleurs
l’effet d’une révélation, et nous permet d’enfiler des lunettes qu’on ne
voudra plus jamais retirer. Sedgiwck montre avec finesse les ficelles d’un
théâtre hétérosexuel anxieusement codifié, dans lequel l’homme vit avec
l’angoisse permanente que quiconque remette en cause son hétérosexualité.
Cette peur viscérale, elle l’appelle la « panique homosexuelle ». Il s’agit du
besoin constant pour les homm
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