Ce que j'ai toujours eu du mal à supporter, c'est l'Allemand que j'ai tué de mes mains nues. Pas les autres: les prisonniers de guerre qu'on fusillait, les grenades dans les bunkers, les lance-flammes, les officiers SS qu'on mettait en rangs avec les traîtres à la patrie et qu'on abattait en série pour manger ensuite leurs maigres rations, assis sur les cadavres. Mais ce jeune Allemand. Depuis, je n'ai plus assassiné. Depuis, j'ai chassé ceux qui assassinent. Depuis ce jour-là, j'ai contribué à construire pour assurer une vie meilleure à notre peuple. De nos jours, un peu partout dans la société, des gens parlent de sauvegarder. De nos souvenirs. Pamiat*, dit-il en russe. Ils se protègent, car à première vue, qui refuserait de soutenir une tâche aussi noble que de reconstruire les bâtiments élevés par des générations perdues? Qui refuserait ouvertement de contribuer à se souvenir et à relever la grande culture russe? Mais regardez sous la surface, M. Anderson, et vous verrez des vers qui dévorent des cadavres.
* Pamiat signifie en russe "la mémoire"