Le cours de géographie tourna mal pour moi. Au cours précédent, l'institutrice avait parlé de l'origine du lac Baïkal : quinze millions d'années plus tôt, il s'était formé à l'occasion d'une faille, c'est-à-dire d'un affaissement de terrain ou d'une crevasse, et ainsi de suite. Ces quinze millions d'années me scandalisaient particulièrement. La maîtresse racontait l'évènement comme si elle y avait assisté, comme si elle pouvait concevoir ce qu'étaient ces quinze millions d'années. Elle en était réellement incapable !
Celui qui a le plus besoin du pardon est celui qui pardonne parce que le fardeau de la vengeance est trop lourd et douloureux pour lui. Mais la vengeance, c’est un devoir. Pardonner, c’est trahir son devoir. Si le mal n’est pas châtié, il aura nom le bien et alors, c’est la fin de tout. Le bien est mémorable pour le bien. Le souvenir du mal réside dans le châtiment. Si tu veux être un homme, ne demande jamais pardon et ne pardonne jamais à qui que ce soit.
Nous étions aux derniers jours de décembre. Quotidiennement, après l’école, je courais au Baïkal. Tout le monde disait qu’il serait bientôt pris par les glaces. C’était une nouvelle incroyable. Le lac était à présent d’une couleur uniforme, bleu-noir ; comment imaginer qu’il allait prendre la teinte blanche de la glace ?
Je n’y croyais pas, je ne voulais pas voir le Baïkal gelé. Il y avait là quelque chose de vexant pour le lac, quelque chose d’injuste. Mais je pressentais déjà que ce nouvel état était inéluctable ; les éclaboussures des vagues le laissaient prévoir. Celles-ci étaient aussi froides et piquantes que des éclats de glace, et l’écume blanche au sommet des vagues ressemblait aussi à des glaçons qui auraient chevauché des lames noires ; et surtout, les vents et le brouillard givrant semblaient lier le sort du lac qui se refroidissait à celui de la terre endormie sous son glacial manteau blanc.
(…)
Quand je quittais le rivage pour rentrer chez moi, je disais au lac :
- Allez, va, tiens bon ! L’essentiel est de tenir jusqu’à demain !
Plus tard, je devais me rendre compte que j’avais raison. C’était la nuit que le Baïkal se relâchait, se décidait à prendre un bref repos et qu’immédiatement le froid enchaînait ses eaux endormies. Le lac, en se réveillant le lendemain sous son raide manteau de glace, trouvait parfois la force de le déchirer en lambeaux et de jeter ceux-ci sur le rivage. Mais cette prouesse nécessitait beaucoup trop de forces, et la nuit suivante, ayant attendu l’heure propice, un froid plus rigoureux encore emmitouflait le Baïkal dans sa cuirasse de glace ; au matin, il ne desserrait pas son étreinte, mais au contraire, la transformait en un spasme de mort, et le Baïkal se soumettait.
Mon récit touche à sa fin, et celle-ci , si l'on prend en ligne de compte les sentiments d'un garçon de douze ans, devrait obligatoirement être triste. Mais pourquoi donc, alors que je me remémore cette tristesse, que je la décris, parais-je toucher à un bonheur que je n'ai pas pu apprécier à l'époque, et qui même à présent n'a rien perdu de sa chaleur ni de son éclat?
Nous étions aux derniers jours de décembre. Quotidiennement, après l’école, je courais au Baïkal. Tout le monde disait qu’il serait bientôt pris par les glaces. C’était une nouvelle incroyable. Le lac était à présent d’une couleur uniforme, bleu-noir ; comment imaginer qu’il allait prendre la teinte blanche de la glace ?
Je n’y croyais pas, je ne voulais pas voir le Baïkal gelé. Il y avait là quelque chose de vexant pour le lac, quelque chose d’injuste. Mais je pressentais déjà que ce nouvel état était inéluctable ; les éclaboussures des vagues le laissaient prévoir. Celles-ci étaient aussi froides et piquantes que des éclats de glace, et l’écume blanche au sommet des vagues ressemblait aussi à des glaçons qui auraient chevauché des lames noires ; et surtout, les vents et le brouillard givrant semblaient lier le sort du lac qui se refroidissait à celui de la terre endormie sous son glacial manteau blanc.
(…)
Quand je quittais le rivage pour rentrer chez moi, je disais au lac :
- Allez, va, tiens bon ! L’essentiel est de tenir jusqu’à demain !
Plus tard, je devais me rendre compte que j’avais raison. C’était la nuit que le Baïkal se relâchait, se décidait à prendre un bref repos et qu’immédiatement le froid enchaînait ses eaux endormies. Le lac, en se réveillant le lendemain sous son raide manteau de glace, trouvait parfois la force de le déchirer en lambeaux et de jeter ceux-ci sur le rivage. Mais cette prouesse nécessitait beaucoup trop de forces, et la nuit suivante, ayant attendu l’heure propice, un froid plus rigoureux encore emmitouflait le Baïkal dans sa cuirasse de glace ; au matin, il ne desserrait pas son étreinte, mais au contraire, la transformait en un spasme de mort, et le Baïkal se soumettait.
L’été, sur le Baïkal, c’est la joie. Non seulement celle qu’on ressent dans son âme et qui résulte de la joie de la nature, mais la joie en elle-même. Celle-ci nous environne : elle est dans la tiédeur de la pierre chauffée au soleil, dans la fraîcheur des éclaboussures des vagues, dans le bouquet de senteurs descendu de la montagne où pousse une quantité innombrable de fleurs et de buissons fleuris, dans la gazouillis des mouettes survolant les bancs de sable ; et surtout, la joie vient de ce que vous vivez dans un aussi merveilleux endroit du monde, en parfaite communion avec la beauté environnante.
Celui qui a le plus besoin du pardon est celui qui pardonne parce que le fardeau de la vengeance est trop lourd et douloureux pour lui. Mais la vengeance, c’est un devoir. Pardonner, c’est trahir son devoir. Si le mal n’est pas châtié, il aura nom le bien et alors, c’est la fin de tout. Le bien est mémorable pour le bien. Le souvenir du mal réside dans le châtiment. Si tu veux être un homme, ne demande jamais pardon et ne pardonne jamais à qui que ce soit.